Tél : 01 42 22 09 18
Fax : 01 42 22 10 03
Publié le 22 Août 2024

Pas de mémoire en réclamation pour le paiement d’un DGD tacite

CE, 7 juin 2024, Société Entreprise Construction Bâtiment, n° 490468

Ce qu’il faut retenir :

La procédure de réclamation instituée par le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de travaux ne saurait être applicable au titulaire se prévalant devant le juge d’un décompte général et définitif, ce dernier étant intangible et donc insusceptible d’être contesté par le maître d’ouvrage.

Enseignement n° 1 : Un décompte général et définitif nait de l’absence de notification dans les délais, par le maître d’ouvrage, du décompte général

L’article 12.4.4 du CCAG-Travaux de 2021, et avant lui l’article 13.4.2 de la version de 2009 des CCAG, prévoit le bénéfice pour le titulaire diligent confronté à l’inaction du maître d’ouvrage, d’un décompte général et définitif tacite. La procédure prévoit que le titulaire dont le projet de décompte final n’a pas connu de suite dans les 30 jours peut saisir directement le maître d’ouvrage d’un projet de décompte général, ce dernier disposant alors de 10 jours pour lui notifier le décompte général du marché. À l’expiration de ce délai, le projet du titulaire devient le décompte général et définitif (DGD).

Le Conseil d’État rappelle à cet égard que seule la notification d’un décompte général, fusse-t-il irrégulier, est susceptible de faire obstacle à la formation d’un tel DGD tacite. En l’espèce, le maître d’ouvrage se prévalait d’un certain nombre de rejets des projets de décomptes final et général transmis par le titulaire. Néanmoins cette opposition, bien qu’expresse, était dépourvue d’effet.

Enseignement n° 2 : Le titulaire se prévalant d’un décompte général et définitif tacite n’est pas sujet à l’obligation de présenter un mémoire en réclamation

Se prévalant de son décompte général et définitif tacite, le titulaire avait saisi le juge du référé-provision qui avait accueilli sa demande en première instance. En appel toutefois, le juge des référés de la cour administrative d’appel avait rejeté la demande comme irrecevable au motif qu’aucun mémoire en réclamation n’avait été produit.

L’article 50 du CCAG-Travaux de 2009 devenu article 55 du nouveau CCAG institue en effet une procédure précontentieuse où, en présence d’un différend, le titulaire du marché est tenu de présenter un mémoire en réclamation préalablement à la saisine du juge, à peine d’irrecevabilité de sa demande. Ces dispositions précisent que « si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général », ce qui parait délicat dans l’hypothèse où aucun décompte général n’a été notifié, et non pertinent à l’égard du décompte général et définitif du marché.

Et en effet, le Conseil d’État retoque le raisonnement du juge d’appel en soulignant que le décompte général et définitif est insusceptible d’être contesté dans son montant. De longue date consacré et régulièrement réaffirmé, le principe d’intangibilité du décompte emporte pour conséquence principale l’impossibilité absolue, pour l’une ou l’autre des parties, de le remettre en cause (CE, 16 octobre 1970, Trésorier-payeur général des Hauts de Seine, n° 72802), et ce y compris en dépit du principe d’ordre public selon lequel une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas (CE, 14 décembre 1998, SARL Levaux, n° 171861).

En conséquence, la procédure de réclamation précitée est inapplicable, puisqu’inutile. En l’espèce d’ailleurs, le titulaire n’élevait pas de réclamation sur le montant du décompte, mais en poursuivait plutôt le paiement forcé devant le juge administratif.


CE, 7 juin 2024, Société Entreprise Construction Bâtiment, n° 490468

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune de Chessy a, par un acte d’engagement du 23 septembre 2019, confié à la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB) le lot n° 1 d’un marché de travaux ayant pour objet la construction d’ateliers artisanaux dans la zone d’activités de la commune. La maîtrise d’œuvre était confiée à la société Goudenège Architectes. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 22 décembre 2020. Par un courrier du 14 janvier 2021, la société ECB a adressé à la commune de Chessy et au maitre d’œuvre un projet de décompte final. Par des courriers en date du 18 février 2021, elle leur a adressé un projet de décompte général. En l’absence de notification par le maitre d’ouvrage du décompte général, la société ECB a sollicité le règlement des sommes dues en exécution du marché par un courrier du 5 mars 2021. La société ECB a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Chessy à lui verser une provision de 317 635,83 euros TTC. Par une ordonnance du 14 avril 2023, le juge des référés de ce tribunal a condamné la commune au versement d’une provision de 371 886,50 euros TTC et a condamné la société Goudenège Architectes à garantir la commune à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à son encontre. Par une ordonnance du 11 décembre 2023, contre laquelle la société ECB se pourvoit en cassation, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a, sur appel de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes, annulé l’ordonnance du 14 avril 2023 et rejeté la demande présentée par la société ECB.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : ” Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie “.

3. D’une part, aux termes de l’article 13.4.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, dans sa version applicable au marché en litige, issue de l’arrêté du 8 septembre 2009 approuvant ce cahier, modifié par l’arrêté du 3 mars 2014 : ” Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : / -trente jours à compter de la réception par le maître d’œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / – trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. (…) “. Selon l’article 13.4.4 de ce cahier : ” Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l’article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, un projet de décompte général signé (…) / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l’article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n’a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l’expiration de ce délai. / Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. (…) “.

4. D’autre part, aux termes de l’article 50 de ce cahier : ” 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d’œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. (…) Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / (…) 50.1.2. Après avis du maître d’œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L’absence de notification d’une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. / (…) 50.3.1. A l’issue de la procédure décrite à l’article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation “.

Sur le pourvoi :

5. Pour juger irrecevables les conclusions de la société ECB, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris s’est fondé sur ce qu’il ne résultait pas de l’instruction que cette société avait, sous quelque forme que ce soit, présenté un mémoire en réclamation relatif au paiement de la créance née du décompte litigieux. En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que, par un courrier adressé le 5 mars 2021 à la commune de Chessy et au maître d’œuvre, cette société avait exposé les raisons pour lesquelles elle estimait pouvoir se prévaloir d’un décompte général et définitif tacite et sollicité le règlement du solde correspondant, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a dénaturé les pièces du dossier. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de son pourvoi, la société ECB est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la société ECB :

7. Aucune disposition ni aucun principe n’ont pour effet de conditionner la recevabilité de l’appel formé contre une décision de première instance à l’exécution préalable de cette décision ou à la présentation d’une requête tendant à ce qu’il soit sursis à son exécution. Les fins de non-recevoir opposées par la société ECB ne peuvent, par suite, qu’être écartées.

Sur l’existence d’une créance de la société ECB :

8. En premier lieu, ainsi que le soutient la société ECB, en l’absence de contestation possible du montant inscrit au solde du projet de décompte général après que celui-ci est devenu le décompte général et définitif tacite dans les conditions fixées à l’article 13.4.4 du CCAG, la procédure de réclamation prévue à l’article 50 du même cahier ne saurait être applicable au titulaire se prévalant devant le juge d’un décompte général et définitif tacite. Par suite, la commune de Chessy ne peut utilement soutenir que la demande de provision de la société ECB était irrecevable faute pour cette société de s’être conformée à la procédure prévue à l’article 50 du CCAG Travaux.

9. En deuxième lieu, contrairement à ce qu’allègue la société Goudenège Architectes, la société ECB établit avoir notifié son projet de décompte final à la commune de Chessy par un courrier du 14 janvier 2021 et le projet de décompte général transmis le 18 février 2021 par cette même société comprend, conformément à l’article 13.4.4 du CCAG, le décompte final antérieurement transmis, un projet de récapitulation des acomptes mensuels et un projet d’état du solde.

10. En troisième lieu, il résulte des stipulations des articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG Travaux citées au point 3 que seule la notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, à laquelle le simple rejet des projets de décompte établis par le titulaire ne saurait être assimilé, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 du CCAG.

11. Par suite, l’absence de notification par la commune de Chessy de décompte général dans les délais prévus par les articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG a fait naître un décompte général et définitif tacite au profit de la société ECB, sans qu’y fasse obstacle le rejet par la commune des projets de décompte final et général transmis par cette société, lesquels, contrairement à ce que soutient la commune, n’avaient pas à être adressés personnellement à son maire.

Sur le montant de la provision accordée par le juge des référés du tribunal administratif de Melun :

12. En condamnant la commune de Chessy à verser à la société ECB une provision de 371 886,50 euros TTC, alors que la somme demandée par cette société s’élevait à 317 635,83 euros TTC, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a statué au-delà des conclusions dont il était saisi.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Chessy est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun l’a condamnée à verser à la société ECB, une provision supérieure à 317 635,83 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires.

Sur l’appel en garantie de la commune de Chessy :

14. Si la commune de Chessy soutient, à l’appui de ses conclusions d’appel en garantie de la société Goudenège Architectes, que cette société n’a pas accompli les diligences qui lui incombaient pour faire obstacle à la naissance d’un décompte général et définitif tacite, le préjudice dont elle peut demander réparation de ce fait ne peut être que l’éventuel surcoût induit par ce décompte par rapport à la somme qu’un décompte général et définitif établi contradictoirement aurait mise à sa charge. Dès lors que la commune de Chessy n’établit aucunement l’étendue ni même l’existence d’un tel préjudice, la créance dont elle se prévaut à l’égard de la société Goudenège Architectes ne peut être regardée comme non sérieusement contestable.

15. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen d’appel de la société Goudenège Architectes, que cette société est fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun l’a condamnée à garantir la commune de Chessy à hauteur de 30% de la condamnation prononcée à son encontre.

Sur les frais de l’instance :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la commune de Chessy à verser à la société ECB la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société ECB et de la société Goudenège Architectes, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

 

DÉCIDE :
————–

  • Article 1er : L’ordonnance du 11 décembre 2023 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris est annulée.
  • Article 2 : La provision que la commune de Chessy est condamnée à verser à la société ECB est ramenée à la somme de 317 635,83 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires.
  • Article 3 : L’appel en garantie formé par la commune de Chessy contre la société Goudenège Architectes est rejeté.
  • Article 4 : L’ordonnance du 14 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Melun est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.
  • Article 5 : La commune de Chessy versera à la société ECB la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
  • Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
  • Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB), à la commune de Chessy et à la société Goudenège Architectes.

© 2022 Cabinet Palmier - Tous droits réservés - Reproduction interdite sans autorisation.
Les informations juridiques, modèles de documents juridiques et mentions légales ne constituent pas des conseils juridiques
Table des matières
CE 7 juin 2024,
DGD tacite,
Mémoire réclamation et DGD tacite,
n° 490468,
Procédure réclamation et DGD tacite,
Société Entreprise Construction Bâtiment,
Tous droits réservés © Cabinet Palmier - Brault - Associés
Un site réalisé par Webocube