La répartition des pénalités communiquée par le mandataire après que le décompte général a acquis un caractère définitif ne permet pas de fonder juridiquement les titres exécutoires visant à imputer ces pénalités aux cotraitants responsables du retard.
En matière de pénalités de retard, les CCAG-Travaux qui se sont succédé ont prévu la règle selon laquelle dans le cas d’entrepreneurs groupés avec un paiement à comptes séparés, les pénalités sont réparties entre les cotraitants conformément aux indications données par le mandataire et, dans l’attente de ces indications, sont retenues en totalité au mandataire (art. 20.7 du CCAG-Travaux 1976 ; art. 20.6 du CCAG-Travaux 2009, art. 19.1.2 du CCAG-Travaux 2021). La jurisprudence en a déduit que s’il incombe au maître de l’ouvrage de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l’ensemble des entreprises, il appartient au seul mandataire de les répartir entre les entreprises et d’en faire l’avance. En cas d’inaction du mandataire, le maître de l’ouvrage ne peut pas imputer les pénalités à une autre entreprise à moins de démontrer l’impossibilité de recouvrer effectivement le montant de ces pénalités sur le mandataire (CE, 2 déc. 2019, Sté Giraud-Serin, n° 422615).
Dans une affaire jugée le 20 novembre 2024, la cour administrative d’appel de Paris rappelle cette règle à la lettre avant d’étudier son application particulière aux circonstances originales de l’affaire.
En l’espèce, le marché avait fait l’objet d’un décompte général établi le 18 février 2019 qui, en accord avec la règle jurisprudentielle précédente, imputait la totalité des pénalités de retard au mandataire commun, la société GTIE. Cette société avait ultérieurement fait parvenir à l’acheteur la réparation des pénalités à appliquer au contraire, suite à quoi l’acheteur avait émis des titres exécutoires à l’encontre des membres du groupement concernés.
La CAA de Paris commence par rappeler la règle d’unicité et d’intangibilité du décompte général et définitif (CE 28 mars 2022 Cne de Sainte-Flaive-des-Loups, req. n° 450477). En particulier, « après la transmission au titulaire du marché du décompte général qu’il a établi et signé, le maître d’ouvrage ne peut en principe réclamer à celui-ci, au titre de leurs relations contractuelles, des sommes dont il n’a pas fait état dans le décompte ».
La jurisprudence n’admet que des exceptions très strictes à cette règle, tenant à l’existence d’une fraude, ou alors à un commun accord des parties pour modifier les termes du décompte (CE, 13 juillet 1961, Cie havraise de navigation à vapeur, Rec. p. 490).
En accord avec ces principes, la cour administrative d’appel de Paris pose alors comme règle que, compte tenu de l’intangibilité du décompte, et alors même que le mandataire a fait connaître la répartition des pénalités qui permettrait au maître d’ouvrage de les imputer à chaque cotraitant, l’absence de modification du décompte en l’espèce fait obstacle à toute réclamation à l’encontre de ces derniers.
Partant, les titres exécutoires sont jugés dénués de fondement et annulés en conséquence.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d’engagement du 4 avril 2014, le syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF) a confié à un groupement conjoint d’entreprises composé des sociétés Laber Metal, MTC ArScénique, Maroom et GTIE Infi, mandataire du groupement, un marché public de travaux pour un montant de 1 674 298 euros HT, ayant pour objet l’amélioration de l’accueil du public au sein des usines de production d’eau potable de Choisy-le-Roi et de Méry-sur-Oise. Après la réception prononcée avec réserves le 21 août 2015, l’établissement du décompte général comportant des pénalités pour retard dans la levée des réserves le 18 février 2019, et l’intervention du comité consultatif de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics, qui s’est dans son avis en date du 11 juin 2020, suivi par le SEDIF le 23 novembre 2020, prononcé en faveur d’une réduction du montant de ces pénalités, le SEDIF a, par cinq titres exécutoires n° 43, n° 48 et n° 49, et n°s 46 et 47 émis le 29 mars 2021 en vue du recouvrement de ces mêmes pénalités, demandé à la société Maroom et à la société MTC ArScénique de lui verser respectivement les sommes de 41 439,69 euros et de 41 440, 66 euros. Les sociétés Maroom et MTC ArScénique ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler ces titres exécutoires et de les décharger de l’obligation de payer les sommes correspondantes, ou à titre subsidiaire, de condamner la société GTIE Infi à les garantir du paiement de ces sommes. Par un jugement du 15 septembre 2022, le tribunal administratif a annulé ces titres exécutoires, et a rejeté le surplus des conclusions de la société Maroom et de la société MTC ArScénique. La société Maroom et la société MTC ArScénique font appel de ce jugement en ce qu’il a pour partie rejeté leurs conclusions.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la société MTC ArScénique aux conclusions présentées par le SEDIF dans son mémoire en défense présenté le 30 janvier 2023 dans l’instance n° 22PA04991 :
2. Si les conclusions du mémoire en défense présenté par le SEDIF le 30 janvier 2023 dans l’instance n° 22PA04991, se présentaient comme dirigées contre la société Maroom, le SEDIF a expressément déclaré reprendre ses conclusions à l’encontre de la société MTC ArScénique, dans ses mémoires ultérieurs. Ces conclusions ne peuvent donc en tout état de cause qu’être rejetées comme irrecevables.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le SEDIF :
3. Les requêtes des sociétés Maroom et MTC ArScénique tendent, non à la décharge des pénalités de retard mises à la charge de la société GTIE Infi par le décompte général et définitif du marché, mais à la décharge de l’obligation de payer les sommes de 41 439,69 euros et de 41 440, 66 euros, pour le recouvrement desquelles le SEDIF a établi les titres exécutoires annulés par le tribunal administratif. La fin de non-recevoir que le SEDIF tire du caractère définitif de ce décompte, doit donc être écartée.
Sur les conclusions des sociétés MTC Maroom et MTC ArScénique tendant à la décharge de l’obligation de payer les sommes de 41 439,69 euros et 41 440, 66 euros :
4. L’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. L’ensemble des conséquences financières de l’exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu’elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Après la transmission au titulaire du marché du décompte général qu’il a établi et signé, le maître d’ouvrage ne peut en principe réclamer à celui-ci, au titre de leurs relations contractuelles, des sommes dont il n’a pas fait état dans le décompte.
5. Par ailleurs, aux termes de l’article 20.6 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG), applicable au marché mentionné ci-dessus : ” 20.6. Dans le cas d’entrepreneurs groupés pour lesquels le paiement est effectué à des comptes séparés, les pénalités (…) sont réparties entre les membres du groupement conformément aux indications données par le mandataire. Dans l’attente de ces indications, (…) les pénalités sont retenues en totalité sur les sommes dues au mandataire (…) “. Il résulte de ces stipulations que s’il incombe au maître de l’ouvrage de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l’ensemble des entreprises, il appartient au seul mandataire commun de répartir entre les entreprises les pénalités dont il fait l’avance jusqu’à ce qu’il ait fourni les indications nécessaires à leur répartition. En cas d’inaction du mandataire commun le maître de l’ouvrage est tenu de lui imputer la totalité des pénalités. Dans cette hypothèse, sauf s’il est dans l’impossibilité de recouvrer effectivement le montant de ces pénalités sur le mandataire, le maître de l’ouvrage ne peut les imputer à une autre entreprise.
6. Il est constant qu’en l’absence d’indication de la société GTIE Infi, mandataire commun du groupement, sur l’imputation des pénalités pour retard dans la levée des réserves qu’il entendait appliquer, le SEDIF lui a, dans le décompte général qu’il a établi le 18 février 2019, conformément à l’article 20.6 du CCAG, cité ci-dessus, imputé la totalité de ces pénalités. Compte tenu de ce qui a été dit au point 4, et même si la société GTIE Infi a, le 15 septembre 2020, fait parvenir au SEDIF la répartition de ces pénalités entre elle-même et les sociétés Maroom et MTC ArScénique, ce décompte qui n’a pas été modifié, faisait obstacle à l’émission de titres exécutoires pour avoir recouvrement d’une partie de ces pénalités de retard auprès des sociétés Maroom et MTC ArScénique. L’annulation des titres exécutoires en litige implique donc nécessairement que la société Maroom soit déchargée de l’obligation de payer la somme de 41 439,69 euros, et que la société MTC ArScénique soit déchargée de l’obligation de payer la somme de 41 440,66 euros.
7. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Maroom et MTC ArScénique sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge de l’obligation de payer les sommes de 41 439,69 euros et de 41 440, 66 euros.
Sur les conclusions subsidiaires des sociétés Maroom et MTC ArScénique dirigées contre la société GTIE Infi :
8. Compte tenu de ce qui vient d’être dit, il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions des sociétés Maroom et MTC ArScénique tendant à ce que la société GTIE Infi soit condamnée à les garantir du paiement des sommes en litige.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés Maroom et MTC ArScénique, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes demandées par le SEDIF et par la société GTIE Infi au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du SEDIF une somme de 1 500 euros à verser à la société Maroom et une somme de 1 500 euros à verser à la société MTC ArScénique, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :