CE 23 janvier 2017, Sté Decremps BTP, req.n°401400
La procédure du référé contractuel permet de sanctionner les marchés qui ont été conclus sans respecter les obligations de publicité et de mise en concurrence. L’article L.551-13 du code de justice administrative (référé contractuel administratif) et l’article L 1441-3 du code de procédure civile (référé précontractuel judiciaire) précisent que cette voie de recours n’est possible qu’après la conclusion du contrat.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat considère qu’un candidat évincé qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d’un marché passé selon une procédure adaptée alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics et n’a pas observé, avant de le signer, un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis prévu par cet article et la date de conclusion du contrat est recevable à saisir le juge du référé contractuel d’une demande dirigée contre ce marché, quand bien même le pouvoir adjudicateur lui aurait notifié le choix de l’attributaire et aurait respecté un délai avant de signer le contrat.
En revanche, la satisfaction tirée de la recevabilité du référé contractuel est néanmoins de courte durée car sous l’empire de l’ancienne réglementation, l’annulation du contrat ne pouvait être prononcée que dans les hypothèses prévues par les articles L 551-18 et L 551-20 du code de justice administrative (référé contractuel administratif) et les articles 16 et 18 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (référé précontractuel judiciaire).
Or, il n’existait aucune obligation textuelle spécifique en matière de procédure adaptée qui imposait d’informer « immédiatement » les candidats évincés du rejet de leur offre et donc avant la signature du marché.
Partant, la jurisprudence administrative considérait que le requérant ne pouvait pas se prévaloir d’un délai « minimum » avant la signature du contrat et que le référé contractuel était donc voué au rejet sauf hypothèse très rare où comme évoqué un référé précontractuel avait bien été engagé en temps utile mais que l’acheteur public n’avait pas respecté l’obligation de suspendre la signature dès la saisine du tribunal ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé (CE 14 février 2017, Sté des Eaux de Marseille, req.n°403614).L’annulation était donc exclue.
Le référé contractuel constituait donc un gadget inutile ouvert malgré tout au requérant au nom du droit à une voie de recours …..inefficace……
Conseil d’État
Lecture du lundi 23 janvier 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Decremps BTP a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d’une demande tendant, dans le dernier état de ses écritures, à l’annulation du marché conclu le 23 mai 2016, selon une procédure adaptée, entre le syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) Morillon-Samoëns-Sixte Fer à Cheval-Verchaix et le groupement Sassi, Benedetti-Guelpa, Socco pour l’exécution du lot n° 1 des travaux de rénovation du réseau d’eau potable et d’assainissement.
Par une ordonnance n° 1602904 du 27 juin 2016, le juge des référés a rejeté, sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, sa demande.
Par un pourvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 27 juillet, 23 août et 26 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Decremps BTP demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge du SIVOM Morillon-Samoëns-Sixte Fer à Cheval-Verchaix la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des marchés publics ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, avocat de la société Decremps BTP et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société SIVOM Morillon-Samoëns-Sixt Fer à Cheval-Verchaix.
Considérant qu’il résulte des dispositions citées au point 1 qu’un candidat évincé qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d’un marché passé selon une procédure adaptée alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics et n’a pas observé, avant de le signer, un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis prévu par cet article et la date de conclusion du contrat est recevable à saisir le juge du référé contractuel d’une demande dirigée contre ce marché, quand bien même le pouvoir adjudicateur lui aurait notifié le choix de l’attributaire et aurait respecté un délai avant de signer le contrat ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution, l’annulation d’un tel contrat ne peut en principe résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique ; que le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative, ou prendre l’une des autres mesures mentionnées à l’article L. 551-20 dans l’hypothèse où, alors qu’un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ;
Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit au point 8 que les manquements dont se prévaut la société requérante ne relèvent d’aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office ; que, par suite, sa demande tendant à ce que soit prononcée l’annulation du marché ne peut qu’être rejetée ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’ordonnance du 27 juin 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Decremps BTP devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Decremps BTP versera au SIVOM Morillon-Samoëns-Sixt Fer à Cheval-Verchaix une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Decremps BTP et au syndicat intercommunal à vocations multiples Morillon-Samoëns-Sixte Fer à Cheval-Verchaix.
Résumé : Un candidat évincé qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d’un marché passé selon une procédure adaptée alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics et n’a pas observé, avant de le signer, un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis prévu par cet article et la date de conclusion du contrat est recevable à saisir le juge du référé contractuel d’une demande dirigée contre ce marché, quand bien même le pouvoir adjudicateur lui aurait notifié le choix de l’attributaire et aurait respecté un délai avant de signer le contrat.