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Publié le 28 Juil 2025

Régularité vs mérites de l’offre : le Conseil d’État sanctuarise la rédaction du règlement de la consultation

CE, 3 juillet 2025, Société Mayotte Route Environnement, n° 501774

Ce qu’il faut retenir :

Le Conseil d’Etat distingue entre les documents à fournir au titre de la régularité de l’offre et les informations à communiquer au titre de l’appréciation des mérites de l’offre. Cette distinction semble se fonde sur un critère purement formaliste : le libellé de la rubrique du règlement de la consultation.

Enseignement n° 1 : Les documents de la consultation peuvent prévoir la communication d’information utiles sans être nécessaires à l’appréciation des offres

Au titre de l’article R2152-1 du code de la commande publique, l’acheteur a l’interdiction de prendre en considération les offres irrégulières dans son analyse. Il doit, en effet, soit les éliminer directement dans le cadre d’une procédure non négociée, soit les éliminer dès lors qu’elles demeurent irrégulières à l’issue des négociations ou du dialogue. Dans cette perspective, l’article L2152-2 du même code rappelle qu’une offre irrégulière se définit comme l’offre « qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».

C’est ainsi que, dans la droite ligne d’une décision de 2019, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé par un considérant de principe le caractère obligatoire de toutes les mentions du règlement de la consultation (RC) et ses implications : « un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c’est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignement requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières ».

Il ajoute néanmoins immédiatement la nuance selon laquelle le RC peut néanmoins prévoir la communication d’informations qui, sans être nécessaires à l’appréciation des offres et donc être exigées à peine d’irrégularité de l’offre, seraient simplement utiles et donc pourraient ainsi faire l’objet d’une dégradation de la note du critère ou du sous-critère auquel elles se rapportent : le RC pouvant ainsi aller jusqu’à prévoir « qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause » (CE, 20 sept. 2019, Sté Vendasi c. Collectivité territoriale de Corse, n°421075).

Enseignement n° 2 : La distinction entre un élément utile et un élément nécessaire à l’appréciation des offres réside dans le choix de la rubrique au titre de laquelle l’acheteur a choisi de l’évoquer

L’apport principal de la décision du 3 juillet 2025 réside dans la mise en œuvre de cette nuance qui, jusqu’ici, avait pu être lue comme particulièrement englobante et permissive. Le juge de cassation choisit en effet de sanctionner la décision du juge du fond selon des termes très particuliers. Le tribunal administratif de Mayotte avait déclaré l’offre litigieuse irrégulière au motif que la note technique du soumissionnaire ne traitait pas des méthodes d’intervention sur le chantier, élément pourtant requis par le RC. Le Conseil d’État fait plutôt le constat suivant : l’acheteur avait prévu des sections distinctes dans son RC, « présentation des offres » d’une part, et « jugement et classement des offres » d’autre part. Or la description des méthodes d’intervention sur le chantier n’était envisagée que dans la seconde section, « précisant les éléments sur lesquels le pouvoir adjudicateur entendait fonder son appréciation de la valeur technique de l’offre », et non dans la première « qui énumérait les pièces dont la communication était requise ».

Cette lecture qui a le mérite de la simplicité ne manque pourtant pas d’interroger quant à sa mise en œuvre pratique : il incomberait en effet aux acheteurs de ne plus se limiter à évoquer « le mémoire technique » dans la liste des pièces à remettre, mais soit de fournir un cadre de réponse à l’appui, soit d’en énumérer précisément toutes les sections obligatoires, faute de pouvoir rejeter une offre qui se contenterait de fournir un mémoire technique indigent mais bien présent…


CE, 3 juillet 2025, Société Mayotte Route Environnement, n° 501774

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 551-5 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mis en concurrence auxquelles est soumise la passation par les entités adjudicatrices de contrats administratifs ayant pour l’objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation (…). / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat “.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte que la direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer de Mayotte a engagé la passation d’un accord-cadre à bons de commande mono-attributaire portant sur l’entretien préventif du réseau routier national de Mayotte pour la période 2024-2028. La société Colas Mayotte, dont l’offre a été classée seconde, a demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Mayotte d’annuler la procédure de passation de ce marché. Par une ordonnance du 11 février 2025 contre laquelle la société Mayotte Route Environnement, attributaire du contrat, se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a annulé cette procédure au stade de l’examen des offres.

3. Un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c’est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignement requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières. Cette obligation ne fait pas obstacle à ce que ces documents prévoient en outre la communication, par les soumissionnaires, d’éléments d’information qui, sans être nécessaires pour la définition ou l’appréciation des offres et sans que leur communication doive donc être prescrite à peine d’irrégularité de l’offre, sont utiles au pouvoir adjudicateur pour lui permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou d’un sous-critère et précisent qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause.

4. Pour juger que l’offre de la société Mayotte Route Environnement était incomplète et donc irrégulière, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a relevé que la note technique présentée à l’appui de celle-ci n’indiquait pas les méthodes d’intervention sur le chantier. En jugeant qu’en l’absence de cet élément, qui ne figurait que dans la partie ” 4-2. Jugement et classement des offres ” du règlement de la consultation précisant les éléments sur lesquels le pouvoir adjudicateur entendait fonder son appréciation de la valeur technique de l’offre, et non dans sa partie ” 3-1.2.3 – Présentation des offres “, qui énumérait les pièces dont la communication était requise, l’offre de la société Mayotte Route Environnement devait être regardée comme irrégulière, le juge des référés a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l’ordonnance attaquée doit être annulée.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. En premier lieu, aux termes de l’article L. 2181-1 du code de la commande publique : ” Dès qu’il a fait son choix, l’acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l’offre n’a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat “. Aux termes de l’article R. 2181-1 du même code : ” L’acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre “. En vertu de l’article R. 2181-3 du même code, cette notification ” mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l’offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l’attribution du marché, l’acheteur communique en outre : / 1° le nom de l’attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / (…) “. Enfin, aux termes de l’article R. 2181-4 du même code : ” A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n’a pas été rejetée au motif qu’elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l’acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / (…) 2° lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue “.

8. L’information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l’entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l’absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n’est plus constitué si l’ensemble des informations mentionnées aux articles du code de la commande publique précédemment cités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s’est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

9. En l’espèce, la société Colas Mayotte a été destinataire, à sa demande, des informations détaillées prévues aux articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique, ce qui lui a permis de contester utilement son éviction devant le juge du référé administratif précontractuel. En conséquence, aucun manquement ne peut être retenu pour ce motif à l’encontre du pouvoir adjudicateur.

10. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 2152-5 du code de la commande publique : ” Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché “. Aux termes de l’article L. 2152-6 du même code : ” L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu’une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat (…) “. Aux termes de l’article R. 2152-3 de ce code : ” L’acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu’il envisage de sous-traiter. / (…) “.

11. Il résulte de l’instruction que, si le montant de l’offre de la société Mayotte Route Environnement était sensiblement plus bas que celui de l’offre de la société Colas Mayotte, ce montant était proche de la valeur estimée du marché par l’acheteur, qui souligne en outre que le marché concurrentiel mahorais présente des spécificités expliquant des variations de prix sensibles entre les opérateurs économiques. Dans ces conditions, et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’offre de la société Mayotte Route Environnement aurait été de nature à compromettre la bonne exécution du marché, la société Colas Mayotte n’est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en s’abstenant de rejeter l’offre de la société Mayotte Route Environnement en raison de son caractère anormalement bas.

12. En troisième lieu, la société Colas Mayotte soutient que l’offre de la société Mayotte Route Environnement aurait dû être écartée en tant qu’elle était irrégulière, faute pour sa note technique de contenir des informations sur les méthodes d’intervention prévues sur les chantiers et pour le bordereau des prix d’intégrer l’ensemble des éléments devant y figurer. D’une part il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le règlement de la consultation n’exigeait pas la fourniture, à peine d’irrégularité, d’informations sur les méthodes d’intervention prévues sur les chantiers, d’autre part, il ne résulte pas de l’instruction que le bordereau des prix de la société Mayotte Route Environnement n’aurait pas comporté l’ensemble des éléments exigés par le règlement de la consultation, la circonstance que, pour certains d’entre eux, les prix ne comportent qu’un nombre limité de sous-rubriques n’étant pas de nature à faire regarder l’offre comme irrégulière.

13. En quatrième lieu, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

14. L’article 4.2. du règlement de la consultation prévoit un jugement des offres au regard de deux critères, le premier, représentant 20% de la note finale, portant sur la valeur technique des offres et étant évalué au vu du contenu de la note explicitant la gestion des déchets de chantier et de celle relative aux matériels et à la méthode d’intervention sur le chantier, notées chacune sur 10 points et le second, portant sur le prix de l’offre, représentant 80% de la note finale. La seule circonstance que les sociétés soumissionnaires aient toutes deux obtenu la note de 10 à leur note explicitant la gestion des déchets de chantier n’est pas de nature à établir que le pouvoir adjudicateur aurait neutralisé le sous-critère correspondant. Par suite, la société Colas Mayotte n’est pas fondée à soutenir que la méthode de notation retenue par la direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer de Mayotte serait entachée d’irrégularité.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de la société Colas Mayotte présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte doit être rejetée.

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Colas Mayotte la somme de 4 500 euros à verser à la société Mayotte Route Environnement au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative pour l’ensemble de la procédure. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la société Mayotte Route Environnement et de l’Etat, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

  • Article 1er : L’ordonnance du 11 février 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est annulée.
  • Article 2 : La demande présentée par la société Colas Mayotte devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte et ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative devant le Conseil d’Etat sont rejetées.
  • Article 3 : La société Colas Mayotte versera à la société Mayotte Route Environnement la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
  • Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Mayotte Route Environnement, à la société Colas Mayotte et au ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

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