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Publié le 23 Nov 2016

La résiliation du marché aux frais et risques du titulaire doit être fondée sur une faute grave et mentionnée dans la mise ne demeure

Avocat Marchés Publics

CE 23 novembre 2016, Hospices Civils de Beaune, n°392227

Dans cette affaire, les Hospices civiles de Beaune avaient attribué à la société Axima un marché public de travaux, qui a été résilié aux frais et risques de l’entreprise, suite à différents manquements contractuels. Celle-ci a saisi le Tribunal administratif en demandant le règlement financier du marché et une indemnité au titre de différents préjudices qu’elle estimait avoir subis. Le juge de première instance a rejeté sa demande, de même que la Cour administrative d’appel. Le Conseil d’Etat s’est prononcé une première fois, en annulant l’arrêt du juge d’appel. Ce dernier a rendu un nouvel arrêt fixant le solde du marché, contre lequel les Hospices de Beaune ont formé un pourvoi principal et la société Axima un pourvoi incident. Dans ce deuxième arrêt sur cette affaire, le Conseil d’Etat rappelle les conditions de régularité d’une résiliation aux frais et risques du titulaire.

Règle n°1 : Le juge n’est pas obligé de se prononcer sur un moyen sans influence sur un éventuel droit à réparation

La société Axima soutenait tout d’abord que les premiers juges n’avaient pas répondu à son moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision de mise en demeure et à la méconnaissance du principe du contradictoire entre la mise ne demeure et la notification de la décision de résiliation.  Le Conseil d’Etat retient que les juges du fond ont pu s’abstenir de répondre à ce moyen, sans entacher leur décision d’omission à statuer, car celui-ci moyen est sans influence sur l’existence d’un droit à réparation au profit d’Axima.

Règle n°2 : En l’absence de clause, seule une faute d’une gravité suffisante justifie la résiliation du marché aux torts exclusifs du titulaire

Le Conseil d’Etat rappelle qu’en l’absence de clause prévue dans le marché, seule une faute d’une gravité suffisante permet au maître d’ouvrage de résilier le marché aux torts exclusifs du titulaire. En l’espèce, les Hospices de Beaune avaient tout d’abord mis en demeure la société Axima de remplacer dans un délai de 15 jours des réseaux non conformes au CCTP et d’évacuer des gaines stockées dans des conditions impropres à leur destination. Il ressort de l’instruction que cette mise en demeure n’a été que très partiellement suivie d’effets. Par ailleurs, à la suite de cette mise en demeure, la société Axima a formulé des propositions pour remédier à la mauvaise exécution du marché et à ses conséquences, qui n’équivalaient pas aux garanties prévues par le CTTP. A la suite des juges du fond, le Conseil d’Etat estime que « l’importance des obligations contractuelles ainsi méconnues et l’ampleur non négligeable de l’inexécution en l’absence d’éléments extérieurs au cocontractant de nature à les expliquer justifiaient la résiliation à ses torts exclusifs ».

Règle n°3 : La résiliation du marché ne peut être fondée que sur les non-conformités mentionnées dans la mise en demeure

Le Conseil d’Etat rappelle enfin qu’en application de l’article 49 du CCAG travaux, le marché ne peut être résilié sur le fondement d’un manquement aux obligations contractuelles que si le maître d’ouvrage en a fait état dans la mise en demeure préalable à la résiliation. En l’espèce, la Cour administrative d’appel a relevé que les manquements indiqués dans la mise en demeure figuraient dans les non-conformités mentionnées dans le rapport de l’expert judiciaire, qui avait par ailleurs relevé d’autres non-conformités ne figurant pas dans la mise en demeure. La société requérante soutenait donc que la Cour administrative d’appel avait entaché son arrêt d’erreur de droit en jugeant que des manquements dont la mise en demeure ne faisait pas état auraient justifié la résiliation. Le Conseil d’Etat rejette ce raisonnement en estimant que le juge d’appel n’a pas retenu toutes ces non-conformités comme ayant justifié la résiliation. En effet, la Cour ne s’est fondée sur le rapport de l’expert que pour établir les non-conformités mentionnées dans la mise en demeure.

Conseil d’État
N° 392227
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Grégory Rzepski, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
Lecture du mercredi 23 novembre 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Par une décision du 30 mars 2016, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi des Hospices civils de Beaune dirigées contre l’arrêt n° 12LY03065 du 2 juin 2015 de la cour administrative d’appel de Lyon en tant seulement que cet arrêt a statué sur les conclusions des Hospices civils de Beaune tendant à l’indemnisation du coût des prestations de reprise.

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les Hospices civils de Beaune et la société Axima, devenue Cofély Axima, ont signé le 23 juillet 2002 un acte d’engagement pour la réalisation du lot n° T2 ” chauffage, climatisation, ventilation, désenfumage ” de l’opération de réorganisation du service des urgences, du bloc opératoire et de la stérilisation centrale du centre hospitalier Philippe Le Bon à Beaune pour un montant de 1 165 000 euros hors taxes ; que, par décision du 18 décembre 2003, le maître d’ouvrage a prononcé la résiliation du marché aux frais et risques de l’entreprise ; que, par une demande, enregistrée le 14 novembre 2006 au greffe du tribunal administratif de Dijon, la société Axima a demandé la condamnation des Hospices civils de Beaune à lui verser, d’une part, une somme de 497 713,01 euros TTC au titre du règlement financier du marché et, d’autre part, une somme de 3 244 490,86 euros TTC au titre des différents préjudices qu’elle estimait avoir subis en raison de la résiliation injustifiée et irrégulière du marché ; que, par un jugement du 27 mai 2010, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ainsi que les conclusions reconventionnelles présentées par les Hospices civils de Beaune tendant à ce que la société Axima, la société groupe 6 SA, le bureau d’études techniques structure et fluide Otra, le bureau d’études Ingebat, la société Klim’ain, la société Marmet Godel energie, la société Gonnet, la société Pietra industries, la société Ingedia et la société Sait soient condamnés solidairement à lui verser une somme de 809 849,60 euros HT au titre des conséquences onéreuses liées à la passation d’un marché de substitution et à l’indemnisation des retards dans l’exécution des travaux imputés à ces sociétés ; que, saisie d’une requête tendant à l’annulation dudit jugement, la cour administrative d’appel de Lyon a, par un arrêt du 15 décembre 2011, rejeté les conclusions de la société Axima tendant, d’une part, à l’indemnisation du préjudice résultant pour elle de la résiliation dudit marché, d’autre part, au règlement par la personne publique cocontractante des dettes contractuelles à son égard au motif que de telles conclusions tendant à l’établissement du décompte général de son marché étaient irrecevables en l’absence de règlement définitif du marché de substitution conclu pour l’achèvement des travaux ; que, par une décision du 15 novembre 2012, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt du 15 décembre 2011 de la cour administrative d’appel de Lyon et lui a renvoyé le jugement de l’affaire ; que, par un arrêt du 2 juin 2015, la cour a estimé que le solde du marché en litige devait être fixé à la somme de 58 460,97 euros hors taxes ; que, par une décision du 30 mars 2016, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a admis les conclusions du pourvoi des Hospices civils de Beaune contre cet arrêt en tant seulement qu’il a statué sur leurs conclusions tendant à l’indemnisation du coût des prestations de reprise rendus nécessaires, selon eux, par le défaut de conformité des prestations réalisées par la société Axima ; que, par la voie du pourvoi incident, la société Axima demande que l’arrêt soit annulé en tant qu’il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

Sur le pourvoi incident de la société Cofély Axima :

2. Considérant que, pour demander l’annulation du jugement du 27 mai 2010, la société Cofély Axima soutenait que les premiers juges n’avaient pas répondu au moyen tiré de ce que la décision de résiliation du 18 décembre 2003 était irrégulière eu égard à l’incompétence du signataire de la décision de mise en demeure et à la méconnaissance du principe du contradictoire entre la mise en demeure et la notification de la décision de résiliation ; qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a estimé, à bon droit, que le tribunal administratif de Dijon avait pu, sans entacher son jugement d’omission à statuer, s’abstenir de répondre à ce moyen dès lors qu’il était sans influence sur l’existence d’un droit à réparation au profit de la société ; que contrairement à ce que soutient la société Cofély Axima dans son pourvoi, la cour doit être regardée comme s’étant ce faisant, implicitement mais nécessairement, prononcée sur son moyen d’appel tiré, à nouveau, de l’incompétence du signataire de la décision de mise en demeure et de la méconnaissance du principe du contradictoire après la mise en demeure ;

3. Considérant que seule une faute d’une gravité suffisante est de nature à justifier, en l’absence de clause prévue à cet effet, la résiliation d’un marché public aux torts exclusifs de son titulaire ; que pour juger que les Hospices civils de Beaune étaient fondés à résilier le marché aux frais et risques de la société Axima le 18 décembre 2013, la cour administrative d’appel de Lyon a relevé, d’une part, que la mise en demeure du 27 novembre 2013 de remplacer dans un délai de quinze jours des réseaux non conformes aux stipulations du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et d’évacuer des gaines stockées dans des conditions impropres à leur destination n’avait été que très partiellement suivie d’effets le 16 décembre 2013, d’autre part, que les propositions formulées par Axima à la suite de cette mise en demeure pour remédier à la mauvaise exécution de ses obligations contractuelles et à ses conséquences n’équivalaient pas aux garanties prévues par le CCTP afin de se conformer aux normes, notamment sanitaires, attendues d’un établissement hospitalier ; qu’il ressort en effet des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’importance des obligations contractuelles ainsi méconnues et l’ampleur non négligeable de l’inexécution en l’absence d’éléments extérieurs au cocontractant de nature à les expliquer justifiaient la résiliation à ses torts exclusifs ; que, par suite, la société Cofély Axima n’est pas fondée à soutenir que l’appréciation portée par la cour administrative d’appel de Lyon sur le point de savoir si elle avait commis une faute suffisamment grave pour justifier cette résiliation est entachée d’une erreur de qualification juridique

4. Considérant qu’aux termes de l’article 49 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable au marché litigieux : ” – 1 (…) lorsque l’entrepreneur ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, la personne responsable du marché le met en demeure d’y satisfaire, dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit (…) ; – 2. Si l’entrepreneur n’a pas déféré à la mise en demeure, une mise en régie à ses frais et risques peut être ordonnée ou la résiliation du marché peut être décidée (…) ” ; qu’il résulte de ces stipulations qu’un manquement aux obligations contractuelles ne peut fonder la résiliation d’un marché que s’il en a été fait état dans la mise en demeure préalable à cette résiliation ; qu’en l’espèce, pour établir la réalité des seuls manquements ayant fondé la décision de résiliation des Hospices civils de Beaune et dont il était fait état dans la mise en demeure du 27 novembre 2013, la cour administrative d’appel a constaté qu’ils figuraient parmi les non-conformités dans l’exécution des prestations dues par la société Axima relevées par l’expert désigné par ordonnance du 12 mars 2004 du juge des référés désigné par le président du tribunal administratif de Dijon ; que, pour autant, il ne ressort pas des énonciations de l’arrêt attaqué que les juges d’appel ont regardé toutes ces non-conformités relevées par l’expert, qu’ils citent alors que certaines n’étaient pas mentionnées dans la mise en demeure du 27 novembre 2013, comme ayant justifié la résiliation ; que, par suite, la société Cofély Axima n’est pas fondée à soutenir que la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit en jugeant que des manquements dont la mise en demeure ne faisait pas état auraient justifié la résiliation ;
5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le pourvoi incident de la société Cofély Axima doit être rejeté ;

Sur le pourvoi principal des Hospices civils de Beaune :
6. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la somme de 7 144 euros hors taxes demandée par les Hospices civils de Beaune en remboursement de la réalisation de travaux rendus nécessaires par le défaut de conformité des prestations réalisées par la société Axima n’est pas comprise dans la somme de 72 220 euros hors taxes correspondant aux travaux non conformes aux prescriptions du CCTP retenus par l’expert au titre des travaux refusés ; qu’en estimant que les Hospices civils de Beaune ne justifiaient pas que le montant de 7 144 euros n’était pas inclus dans celui de 72 220 euros, la cour administrative d’appel de Lyon a entaché son arrêt de dénaturation ; que, dès lors, son arrêt doit être annulé en tant qu’il statue sur les conclusions des Hospices civils de Beaune tendant à l’inclusion de la somme de 7 144 euros dans le coût des prestations de reprise ;
7. Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative : ” Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire ” ; qu’il y a lieu, par suite, de régler l’affaire au fond ;
8. Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que les travaux de dévoiement de tuyauteries de chauffage réalisés pour un montant de 7 144 euros HT auraient été rendus nécessaires par le défaut de conformité des prestations réalisées par la société Axima ; que, par suite, les Hospices civils de Beaune ne sont pas fondés à en demander le remboursement ;
9. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les Hospices civils de Beaune au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 2 juin 2015 est annulé en tant qu’il a statué sur les conclusions des Hospices civils de Beaune tendant à l’indemnisation du coût des prestations de reprise.
Article 2 : Les conclusions des Hospices civils de Beaune tendant à l’indemnisation du coût de prestations de reprise sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions des Hospices civils de Beaune présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions du pourvoi incident de la société Cofély Axima sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée aux Hospices civils de Beaune et à la société Cofély Axima.


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