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Publié le 24 Fév 2025

Spécifications techniques : l’acheteur ne peut pas exiger l’utilisation d’un matériau déterminé

CJUE, 16 janvier 2025, DYKA Plastics NV, aff. C-424/23

Ce qu’il faut retenir:

Les méthodes de définition des spécifications techniques – normes ou exigences fonctionnelles – données par la directive «marchés» sont exhaustives: l’acheteur ne peut, sans méconnaître le principe fondamental de libre-accès, spécifier l’utilisation d’un matériau déterminé sans mention «ou équivalent» à moins que cela ne découle inévitablement de l’objet du marché.

Enseignement n° 1: La directive «marchés» énonce deux méthodes exhaustives de formulation des spécifications techniques

L’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 énumère des méthodes de formulation des spécifications techniques, autrement dit de définition par l’acheteur d’une solution répondant à son besoin. Ces éléments sont repris aujourd’hui à l’article R2111-8 du code de la commande publique: «L’acheteur formule les spécifications techniques : 1°Soit par référence à des normes ou à d’autres documents équivalents accessibles aux candidats ; 2°Soit en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles ; 3°Soit par une combinaison des deux».

Dans une affaire belge portée à l’attention de la Cour de justice, il était reproché à l’acheteur d’être allé trop loin dans la définition de la solution répondant à son besoin: la société de droit belge Fluvius, gestionnaire de réseaux d’utilité publique et notamment des réseaux d’égout, exigeait l’utilisation de tuyaux en grès et de tuyaux en béton pour les systèmes d’évacuation des eaux.

La Cour condamne sans détour un tel procédé en jugeant tout d’abord que la directive «énumère de manière exhaustive les méthodes de formulation des spécifications techniques». Il en découle que l’acheteur ne peut pas, en principe, faire référence à un matériau déterminé, non plus qu’à un procédé de fabrication ou à une provenance déterminés ou à tout autre élément particulier. En effet, si le juge reconnait que ces éléments particuliers peuvent «contribuer» à la performance ou à la fonctionnalité d’un produit, il rappelle qu’ils ne constituent pas en eux-mêmes de telles performances ou exigences fonctionnelles.

Ce principe ne cédera que dans trois cas, successivement examinés par la Cour et non vérifiés en l’espèce.

Enseignement n° 2: La spécification de l’utilisation d’un matériau déterminé est interdite sauf à ce qu’elle découle inévitablement de l’objet du marché de travaux

Le premier cas est l’existence d’une règle technique nationale obligatoire, réserve expressément prévue par le même article 42, paragraphe 3, de la directive marchés.

Le deuxième cas suppose que l’acheteur soit dans l’impossibilité de décrire l’objet du marché avec suffisamment de précision et d’intelligibilité autrement que par la mention d’un élément particulier, tel que le matériau constitutif: en pareil cas la mention «ou équivalent» doit obligatoirement suivre.

Enfin, le troisième cas réside dans le lien de dépendance avec l’objet même du marché. Ainsi, l’utilisation d’un matériau déterminé pourra être spécifiée par l’acheteur lorsque cette utilisation «découle inévitablement de l’objet du marché, aucune alternative fondée sur une solution technique différente n’étant envisageable».

Le troisième cas retient davantage l’attention de la Cour, qui ne cesse de rappeler que le non-respect de ces dispositions méconnait nécessairement et irrémédiablement l’égal accès des opérateurs aux procédures de passation de marchés (principe européen, traduit en France par le principe fondamental de libre-accès à la commande publique). Elle convient que l’acheteur qui passe un marché de travaux définit, certes, «lescaractéristiques requises des travaux ». Toutefois les caractéristiques des travaux et les caractéristiques des matériaux employés pour les travaux ne se confondent pas.

Une spécification de l’utilisation d’un matériau déterminé reste possible «lorsqu’elle se fonde sur l’esthétique recherchée par le pouvoir adjudicateur ou sur la nécessité d’obtenir l’adéquation d’un ouvrage à son environnement, ou lorsque, au regard d’une performance ou d’une exigence fonctionnelle (…) il est inévitable d’utiliser des produits constitués de ce matériau».

Mais en dehors de ces hypothèses restrictives, l’acheteur doit ainsi se contenter de préciser les performances ou fonctionnalités attendues de l’ouvrage, et donner aux opérateurs économiques intéressés la possibilité de démontrer l’équivalence de «matériaux moins habituels (dans le secteur concerné), voire innovants».

 


CJUE, 16 janvier 2025, DYKA Plastics NV, aff. C-424/23

 

Sur la première question

28      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que l’énumération, à cette disposition, des méthodes de formulation des spécifications techniques est exhaustive.

29      À cet égard, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, les spécifications techniques sont formulées, conformément au point a) de cette disposition, en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, ou bien, conformément au point b) de ladite disposition, par référence à des spécifications techniques et, par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux évaluations techniques européennes, aux spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation, ou, en leur absence, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en matière de conception, de calcul et de réalisation des ouvrages et d’utilisation des fournitures, ou bien encore, conformément aux points c) ou d) de la même disposition, par une combinaison de ces deux méthodes. Il n’existe pas de hiérarchie entre les méthodes de formulation des spécifications techniques énumérées aux points a) à d) du paragraphe 3 de cet article 42 (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, points 26 et 28).

30      Ainsi qu’il découle de la phrase « les spécifications techniques sont formulées de l’une des façons suivantes », qui précède ces points a) à d), il incombe au pouvoir adjudicateur de formuler les spécifications techniques conformément à l’un desdits points et non pas selon une autre méthode. Partant, l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doit, ainsi que l’a fait observer, en substance, M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, être compris en ce sens qu’il énumère de manière exhaustive les méthodes de formulation des spécifications techniques devant figurer dans les documents de marché. En effet, si le législateur de l’Union avait entendu admettre des méthodes supplémentaires, il aurait exprimé sa volonté en employant une formule allant en ce sens, telle que « peuvent être formulées ».

31      Cette interprétation n’est pas infirmée par la précision, qui figure au début de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, selon laquelle cette disposition est « [s]ans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union ». Cette précision est certes susceptible, en cas de présence d’une règle technique nationale, de conduire à des situations dans lesquelles des pouvoirs adjudicateurs peuvent déroger à la règle énoncée à cet article 42, paragraphe 3, mais elle n’altère pas, en tant que telle, le sens de cette règle. Lorsque, comme en l’occurrence, aucune « règle technique nationale obligatoire » n’est invoquée, les spécifications techniques doivent, sans préjudice de l’article 42, paragraphe 4, de cette directive, être formulées conformément à l’une des méthodes prévues aux points a) à d) dudit article 42, paragraphe 3.

32      Ladite interprétation n’est pas non plus infirmée par l’indication, figurant à l’article 42, paragraphe 4, deuxième phrase, de la directive 2014/24, selon laquelle il peut y avoir des cas « où il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3 » de cet article 42.

33      Selon l’article 42, paragraphe 4, deuxième et troisième phrases, de cette directive, le pouvoir adjudicateur peut, dans de tels cas, exceptionnellement faire référence à une fabrication ou à une provenance déterminée, à un procédé particulier ou encore à un autre élément particulier mentionné au paragraphe 4, première phrase, de cet article 42, en y adjoignant les termes « ou équivalent ».

34      Lorsque cette exception s’applique, en raison de l’impossibilité de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, le pouvoir adjudicateur peut inclure, dans les spécifications techniques, une référence aux éléments dont la mention est en principe interdite par l’article 42, paragraphe 4, première phrase, de cette directive, pour autant que cette référence soit accompagnée des termes « ou équivalent ».

35      Par ailleurs, dans la mesure où l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 précise, dans sa première phrase, que l’interdiction d’employer les références qui y sont mentionnées ne s’applique pas lorsqu’une telle référence est justifiée par l’objet du marché, il y a lieu de considérer que ce cas de figure déroge, à l’instar de celui prévu à l’article 42, paragraphe 4, deuxième phrase, de cette directive, visé aux points 32 à 34 du présent arrêt, à l’applicabilité exclusive des méthodes de formulation des spécifications techniques énumérées à l’article 42, paragraphe 3, de ladite directive.

36      Cela étant, en dehors des cas de figure énoncés à l’article 42, paragraphe 4, de la même directive et en l’absence de toute règle technique nationale obligatoire, au sens du paragraphe 3 de cet article 42, la liste des méthodes de formulation des spécifications techniques énumérées à l’article 42, paragraphe 3, sous a) à d), de la directive 2014/24 doit être considérée comme étant exhaustive.

37      Ainsi qu’il ressort de l’ensemble des éléments qui précèdent, l’interprétation énoncée au point 30 du présent arrêt, qui découle clairement des termes « sont formulées de l’une des façons suivantes » figurant à l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, s’impose en principe, à savoir sans préjudice de la précision contenue au début de cette disposition, d’une part, et de celles contenues à l’article 42, paragraphe 4, de cette directive, d’autre part. Au regard de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, lorsque le sens d’une disposition du droit de l’Union ressort sans ambiguïté du libellé même de celle-ci, la Cour ne saurait s’en départir (arrêt du 4 octobre 2024, Agentsia po vpisvaniyata, C‑200/23, EU:C:2024:827, point 56 et jurisprudence citée), il n’y a pas lieu d’examiner davantage la portée de cet article 42, paragraphe 3.

38      Partant, il y a lieu de répondre à la première question posée que l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que l’énumération, à cette disposition, des méthodes de formulation des spécifications techniques est exhaustive, sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires qui sont compatibles avec le droit de l’Union, au sens de ladite disposition, et sans préjudice de l’article 42, paragraphe 4, de cette directive.

 Sur les deuxième et troisième questions

39      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que les pouvoirs adjudicateurs peuvent préciser, dans les spécifications techniques d’un marché public de travaux, de quels matériaux les produits proposés par les soumissionnaires doivent être constitués.

40      À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que, dans une procédure de passation d’un marché public de travaux, la formulation des spécifications techniques vise, conformément à l’article 42, paragraphe 1, de la directive 2014/24, à définir « les caractéristiques requises des travaux ». En ce qu’elles déterminent ces caractéristiques, les spécifications techniques définissent, comme cela découle du considérant 92 de cette directive, l’objet même du marché public.

41      Parmi ces spécifications peuvent notamment figurer, conformément au point 1, sous a), de l’annexe VII de ladite directive, les caractéristiques requises « d’un produit ou d’une fourniture de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par le pouvoir adjudicateur ». Ces caractéristiques incluent, notamment, toutes les « conditions de caractère technique que le pouvoir adjudicateur est à même de prescrire, par voie de réglementation générale ou particulière, en ce qui concerne les ouvrages terminés et en ce qui concerne les matériaux ou les éléments constituant ces ouvrages ».

42      Si les pouvoirs adjudicateurs jouissent d’une large marge d’appréciation à ce sujet, qui est justifiée par le fait qu’ils connaissent le mieux les fournitures dont ils ont besoin et les exigences auxquelles il doit être satisfait afin d’obtenir les résultats souhaités, la directive 2014/24 pose néanmoins certaines limites qu’ils doivent respecter. Ceux-ci doivent veiller, conformément à l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de celle-ci, à ce que les spécifications techniques donnent aux opérateurs économiques une égalité d’accès aux procédures de passation de marchés et n’aient pas pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, points 29 à 33).

43      Dans le même ordre d’idées, il découle du considérant 74 de cette directive que les spécifications techniques formulées en vue de la passation d’un marché public doivent ouvrir ce marché public à la concurrence et donc permettre que soient présentées des offres qui reflètent notamment la diversité des solutions techniques existant sur le marché (voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, point 36, et du 24 octobre 2024, Obshtina Pleven, C‑513/23, EU:C:2024:917, point 36).

44      Ce même considérant 74 précise que la formulation de spécifications techniques en termes de performances et d’exigences fonctionnelles permet généralement d’atteindre au mieux l’objectif d’ouverture à la concurrence et que, partant, cette méthode de formulation, qui promeut l’innovation dans la passation des marchés publics, devrait être utilisée aussi largement que possible.

45      Cette façon de formuler les spécifications techniques, visée à l’article 42, paragraphe 3, sous a), de la directive 2014/24, permet, en effet, à tout opérateur économique dont les produits satisfont aux performances et aux exigences fonctionnelles imposées par le pouvoir adjudicateur de soumissionner, indépendamment, notamment, du procédé suivi dans la fabrication de ses produits et du matériau dont ceux-ci sont constitués.

46      Pour que la méthode de formulation prévue à l’article 42, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/24 garantisse elle aussi une ouverture adéquate à la concurrence, le législateur de l’Union a prévu que les spécifications techniques formulées selon cette méthode doivent être accompagnées de la mention « ou équivalent ».

47      L’ouverture à la concurrence étant ainsi garantie en cas d’application de l’une des méthodes visées à l’article 42, paragraphe 3, sous a) et b), de la directive 2014/24, elle est également garantie dans les cas visés à l’article 42, paragraphe 3, sous c) et d), de celle-ci, qui consistent en une combinaison de ces deux méthodes.

48      En revanche, l’inclusion, dans les spécifications techniques, d’une référence « à une fabrication ou [à] une provenance déterminée ou à un procédé particulier, qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique », ou « à une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits » est en principe interdite, en vertu de l’article 42, paragraphe 4, de cette directive.

49      En effet, de telles références, loin de contribuer à ouvrir le marché public à la concurrence, ont pour effet de restreindre celle-ci.

50      Cela étant, à titre exceptionnel, un pouvoir adjudicateur peut, dans les documents du marché contenant les spécifications techniques, inclure une référence visée à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, pourvu que, comme le prévoit en substance la deuxième phrase de cette disposition, les performances ou exigences fonctionnelles mentionnées conformément à l’article 42, paragraphe 3, sous a), de cette directive ou les spécifications mentionnées conformément à l’article 42, paragraphe 3, sous b), de ladite directive, ou une combinaison des deux, ne permettent pas, par elles-mêmes, de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché. Dans un tel cas, le pouvoir adjudicateur doit, conformément à la troisième phrase de l’article 42, paragraphe 4, de la même directive, accompagner cette référence de la mention « ou équivalent ».

51      Ainsi qu’il ressort, par ailleurs, de l’incise « [à] moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché », contenue dans la première phrase de l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, les références visées à cette disposition peuvent également être faites lorsque cela est légitime au regard de l’objet du marché. Eu égard à son emplacement au début de ce paragraphe 4 et à l’emploi des termes « [à] moins que », ce cas de figure, qui est distinct de celui prévu au paragraphe 4, deuxième phrase, de cet article 42, doit être compris comme une circonstance qui permet au pouvoir adjudicateur d’écarter l’applicabilité même du contenu normatif de ce paragraphe 4, lequel comporte l’interdiction de principe énoncée à la première phrase dudit paragraphe, l’exception à cette interdiction prévue à la deuxième phrase de celui-ci et l’exigence, prévue à la troisième phrase de ce dernier, d’ajouter, en cas d’applicabilité de cette exception, la mention « ou équivalent ».

52      Par conséquent, lorsqu’une référence telle que celle mentionnée à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 est justifiée par l’objet du marché, elle peut être introduite dans les spécifications techniques, sans que l’interdiction énoncée à la première phrase de cette disposition ou les conditions prévues aux deuxième et troisième phrases de celle-ci s’appliquent.

53      Ce cas de figure visé par les termes « [à] moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché » doit, sous peine de porter atteinte à l’objectif d’ouverture des marchés publics à la concurrence, être interprété de manière restrictive, de sorte qu’il couvre uniquement les situations dans lesquelles une exigence tenant à l’utilisation d’un produit d’un type ou d’une origine voire d’une marque déterminés, ou obtenu sur le fondement d’un brevet ou d’un procédé déterminés, découle inévitablement de l’objet du marché.

54      C’est au regard de l’ensemble des précisions fournies ci-dessus au sujet de la portée de l’article 42 de la directive 2014/24 qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si Fluvius peut ou non limiter, au moyen des spécifications techniques qu’elle formule en vue de la passation de marchés publics de travaux d’égouttage, ces marchés publics aux opérateurs économiques qui fournissent des tuyaux d’égouttage en grès pour l’évacuation des eaux usées et des tuyaux en béton pour l’évacuation des eaux pluviales.

55      S’il incombera à la seule juridiction de renvoi d’appliquer les règles énoncées à cet article 42, telles qu’interprétées par la Cour, cette dernière peut néanmoins donner des indications afin de déterminer dans quelle mesure ces règles sont susceptibles de s’appliquer à une référence, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à exiger l’utilisation de tuyaux « en grès » et « en béton ».

56      À ce titre, il y a lieu d’indiquer, premièrement, que le matériau dont un produit est constitué ne saurait être qualifié de « performance » ou d’« exigence fonctionnelle », au sens de l’article 42, paragraphe 3, sous a), de la directive 2014/24. En effet, si un matériau peut contribuer à la performance d’un produit ou à l’aptitude de celui-ci à remplir une exigence fonctionnelle, il ne constitue pas, en lui-même, une « performance » ou une « exigence fonctionnelle ».

57      Dans un cas tel que celui en cause dans l’affaire au principal, où il existe, dans le secteur économique concerné, des produits différenciables selon leur fabrication et, en particulier, le matériau dont ils sont constitués, l’exigence d’utiliser des produits constitués d’un certain matériau doit, ainsi que l’a fait observer M. l’avocat général aux points 72 et 73 de ses conclusions, être qualifiée de référence à un « type » ou à une « production déterminée » ayant « pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits », au sens de l’article 42, paragraphe 4, première phrase, de la directive 2014/24, dès lors que cette référence conduit à éliminer les entreprises qui fournissent des produits constitués d’un matériau autre que celui exigé.

58      Deuxièmement, il importe d’indiquer que, lors de l’audience devant la Cour, Fluvius a déclaré, en réponse à une question posée par celle-ci, qu’elle n’avait pas accompagné la spécification technique en cause dans l’affaire au principal, selon laquelle les tuyaux pour l’évacuation des eaux usées doivent être en grès et ceux pour l’évacuation des eaux pluviales en béton, de la mention « ou équivalent ».

59      Si tel devait être le cas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il s’ensuivrait, sans qu’il soit nécessaire d’examiner s’il est possible, en application de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet de chaque marché en cause au principal, que Fluvius ne pourrait utilement invoquer l’exception prévue à l’article 53, paragraphe 4, deuxième alinéa, sous 1°, de la loi relative aux marchés publics, qui transpose dans le droit belge l’article 42, paragraphe 4, deuxième phrase, de cette directive, puisque l’exigence formulée à la troisième phrase du paragraphe 4 de cet article 42, transposée dans le droit belge par l’article 53, paragraphe 4, troisième alinéa, de cette loi, ne serait pas satisfaite.

60      S’agissant, troisièmement, du cas de figure visé au début de l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, interprété aux points 51 à 53 du présent arrêt et transposé dans le droit belge par l’article 53, paragraphe 4, deuxième alinéa, sous 2°, de ladite loi, il y a lieu de considérer que l’exigence relative à l’utilisation d’un matériau déterminé pour un marché public ou pour une partie de celui-ci peut, en particulier, découler inévitablement de l’objet du marché lorsqu’elle se fonde sur l’esthétique recherchée par le pouvoir adjudicateur ou sur la nécessité d’obtenir l’adéquation d’un ouvrage à son environnement, ou lorsque, au regard d’une performance ou d’une exigence fonctionnelle formulée en application de l’article 42, paragraphe 3, sous a), de cette directive, il est inévitable d’utiliser des produits constitués de ce matériau. En effet, dans de telles situations, aucune alternative fondée sur une solution technique différente n’est envisageable.

61      En dehors des cas où l’utilisation d’un matériau découle inévitablement de l’objet du marché, le pouvoir adjudicateur ne peut, sans ajout de la mention « ou équivalent », exiger l’utilisation d’un matériau déterminé. Il doit alors, dans le cadre des spécifications techniques, s’abstenir d’imposer l’emploi d’un matériau déterminé, soit en évitant de faire mention d’un tel matériau dans les documents du marché, soit en faisant mention d’un ou de plusieurs matériaux tout en y ajoutant la mention « ou équivalent ». Ainsi, le pouvoir adjudicateur sera amené, conformément à l’objectif d’ouverture à la concurrence poursuivi par la directive 2014/24, à appliquer les critères d’attribution à une diversité d’offres, pouvant comprendre aussi bien celles qui proposent des produits constitués de matériaux dont l’utilisation est courante dans le secteur concerné que celles qui proposent des produits constitués de matériaux moins habituels, voire innovants. Le pouvoir adjudicateur donne ainsi aux opérateurs économiques intéressés la possibilité de démontrer l’équivalence de tels matériaux.

62      Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions posées que l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent pas, sans ajout de la mention « ou équivalent », préciser, dans les spécifications techniques d’un marché public de travaux, de quels matériaux les produits proposés par les soumissionnaires doivent être constitués, à moins que l’utilisation d’un matériau déterminé découle inévitablement de l’objet du marché, aucune alternative fondée sur une solution technique différente n’étant envisageable.

Sur la quatrième question

63      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens que l’obligation de donner aux opérateurs économiques une égalité d’accès aux procédures de passation de marchés publics et l’interdiction de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence, énoncées à cette dernière disposition, sont nécessairement méconnues lorsqu’un pouvoir adjudicateur élimine, par une spécification technique qui n’est pas compatible avec les règles énoncées à l’article 42, paragraphes 3 et 4, de ladite directive, certaines entreprises ou certains produits.

64      Il ressort sans ambiguïté du libellé de l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24 que cette disposition a pour objet de rappeler, en ce qui concerne la formulation des spécifications techniques, certaines des règles énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, à savoir, d’une part, l’obligation de traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et, d’autre part, l’interdiction de limiter artificiellement la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, points 32 et 33).

65      Cette teneur de l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24 est, à son tour, concrétisée par les paragraphes 3 et 4 de cet article 42. Ainsi qu’il découle de l’examen des première à troisième questions préjudicielles, ces paragraphes se fondent, eux aussi, ainsi qu’il est confirmé par le considérant 74 de la directive 2014/24, sur lesdites obligation et interdiction.

66      Par conséquent, lorsque certaines entreprises ou certains produits se trouvent exclus en raison d’une spécification technique qui est incompatible avec les règles énoncées à l’article 42, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24, cette exclusion porte nécessairement atteinte à l’obligation, énoncée au paragraphe 2 de cet article 42, de veiller à ce que les spécifications techniques donnent un accès égal à la procédure de passation et ne limitent pas indûment la concurrence.

67      Partant, il y a lieu de répondre à la quatrième question posée que l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens que l’obligation de donner aux opérateurs économiques une égalité d’accès aux procédures de passation de marchés publics et l’interdiction de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence, énoncées à cette dernière disposition, sont nécessairement méconnues lorsqu’un pouvoir adjudicateur élimine, par une spécification technique qui n’est pas compatible avec les règles énoncées à l’article 42, paragraphes 3 et 4, de ladite directive, certaines entreprises ou certains produits.


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Table des matières
Article 42 paragraphe 3 de la directive 2014/24,
Article R2111-8 du code de la commande publique,
CJUE 16 janvier 2025 DYKA Plastics NV aff. C-424/23,
Exhaustivité,
Interdiction de faire référence à un matériau,
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Méthodes de formulation légales,
Spécifications techniques,
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