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Un échange de courriers peut constituer une tentative de conciliation

CAA Versailles 7 novembre 2024,
Commune de Boulogne-Billancourt, n° 22PA02692

Ce qu’il faut retenir :

Les clauses de règlement amiable préalable obligatoire des différends doivent prévoir les formes et modalités de la tentative de règlement amiable, faute de quoi un simple échange de courriers peut être assimilé par le juge à une tentative de conciliation.

Enseignement n° 1 : Les clauses de règlement amiable préalable obligatoire s’imposent au juge

En application du principe de force obligatoire du contrat, le Conseil d’État a consacré le plein effet des clauses de règlement amiable préalable obligatoire des différends dans les contrats administratifs. Ce plein effet ne pouvant être évincé au motif que l’action vise justement à contester la validité du contrat lui-même (CE, 10 juillet 2020, Sté Exelcia, n° 433643). En cas de méconnaissance de cette clause, le juge administratif prononcer l’irrecevabilité de la requête, au besoin d’office puisque cette dernière est un moyen d’ordre public.

Dans un arrêt du 7 novembre 2024, la cour administrative d’appel a été amenée à connaître de la contestation d’un titre exécutoire émis par la commune de Boulogne-Billancourt à l’encontre de la S.A.S. Vert-Marine.

La jurisprudence avait déjà eu l’occasion de préciser que l’émission de titres exécutoires concernant des contestations relatives à l’exécution du contrat devait, elle aussi, respecter l’obligation contractuelle de mise en œuvre préalable d’une procédure de règlement amiable (CE, 28 janvier 2011, Dpt des Alpes Maritimes, n°331986). Une personne publique ne peut donc ni saisir le juge, ni émettre un titre exécutoire avant de les avoir mises en œuvre, à moins que le titre exécutoire ne consiste en l’application pure et simple de sanctions pécuniaires prévues au contrat (CE, 12 octobre 2020, Cne d’Antibes, n° 431903).

Enseignement n° 2 : La conciliation préalable obligatoire peut avoir lieu par tous moyens, sauf stipulation contraire

En l’espèce, la clause de règlement amiable était rédigée de la façon suivante : « L’autorité délégante et le délégataire conviennent que les différends qui résultent de l’interprétation ou de l’application de la présente convention ou de ses annexes font l’objet d’une tentative de conciliation entre les parties. À défaut d’accord sur la conciliation dans un délai de trois mois à compter de la constatation du litige, la partie la plus diligente peut soumettre le litige à la juridiction administrative compétente ».

Il est à noter qu’à propos d’une rédaction quasiment identique, la CAA de Marseille avait jugé que le pouvoir adjudicateur devait être regardé comme ayant renoncé à l’exercice du pouvoir d’émettre un titre exécutoire en cas d’échec de la procédure de règlement amiable, et que de ce fait la clause de règlement amiable contrevenait à l’ordre public dans la mesure où elle avait pour objet une renonciation contractuelle à une prérogative d’ordre public. Cependant les juges du fond disposent quant à l’interprétation du contrat d’une appréciation souveraine, sur laquelle le Conseil d’État n’exerce qu’un contrôle de la dénaturation (CE, 20 septembre 2019, Sté Valéor, req.n°419381).

La CAA de Versailles fait produire pour sa part son plein effet à la clause, tout en relevant que le contrat est silencieux quant aux formes et aux modalités que doit prendre la tentative de conciliation. En l’absence de toute précision sur ce point, les nombreux échanges de courriers ayant eu lieu entre la commune de Boulogne-Billancourt et la société Vert-Marine pendant plus d’un an « doivent s’analyser comme une tentative de conciliation préalable ». La forme de la conciliation est donc libre mais laissée à l’appréciation des juges, raison pour laquelle la rédaction des clauses de règlement amiable gagnerait à être plus précise…

 


CAA Versailles 7 novembre 2024,
Commune de Boulogne-Billancourt, n° 22PA02692

 

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat de délégation de service public du 25 janvier 2013, la commune de Boulogne-Billancourt a confié la gestion et l’entretien de son complexe piscine-patinoire à la société par actions simplifiée (SAS) Vert-Marine pour la période du 1er mars 2013 au 31 décembre 2018, prorogée par avenant jusqu’au 30 juin 2019. Estimant que la société avait irrégulièrement conservé la somme de 175 187,37 euros constitutive de produits constatés d’avance correspondant à des prestations non encore réalisées à la date d’achèvement du contrat, le maire de la commune de Boulogne-Billancourt a émis à son encontre, le 4 septembre 2020, un titre exécutoire destiné à recouvrer la somme en cause. Par la présente requête, la commune de Boulogne-Billancourt relève appel du jugement du 6 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé ce titre exécutoire et déchargé la société Vert-Marine de l’obligation de payer ladite somme.

Sur le moyen d’annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes des stipulations de l’article 25 du contrat de délégation de service public, conclu le 25 janvier 2013 entre la commune de Boulogne-Billancourt et la société Vert-Marine : ” (…) Le délégataire supporte l’ensemble des charges d’exploitation de la piscine et de la patinoire. En contrepartie, il est autorisé à percevoir pour son propre compte : les recettes auprès des usagers ; toutes les recettes annexes ; (…). “. L’article 30 de ce contrat précise par ailleurs : ” A l’entrée en vigueur du présent contrat, le délégataire supporte les charges et bénéficie des produits ayant leur origine dans l’exploitation qui lui a été déléguée à compter du 1er mars 2013. / L’ancien délégataire arrête les comptes de la délégation arrivée à échéance. Les charges engagées à compter du 1er mars de l’exercice 2013 et les produits constatés d’avance dans les comptes du contrat de délégation arrivant à échéance le 28 février 2012, sont reversés, avec production des justificatifs nécessaires, par l’ancien délégataire à l’autorité délégante qui le[s] reverse au nouveau délégataire. ” L’article 48 prévoit enfin le sort des biens à échéance de la convention ou en cas de résiliation.

3. S’il est constant qu’aucune clause du contrat ne régit le sort des produits constatés d’avance à l’échéance de la convention, il résulte des stipulations précitées que, d’une part, la société Vert-Marine devait bénéficier en début d’exploitation des produits constatés d’avance à l’échéance de la précédente convention de délégation de service public conclue par la commune de Boulogne-Billancourt, ces sommes, correspondant à des recettes perçues pour des prestations non encore réalisées, devant servir à couvrir une partie des charges d’exploitation du service public sur l’exercice suivant, d’autre part, l’autorisation contractuelle donnée à la société Vert-Marine de percevoir des recettes pour son propre compte avait pour contrepartie la prise en charge par le délégataire des coûts afférents au service, laquelle a pris fin le 30 juin 2019. Il résulte ainsi de l’économie du contrat que la commune intention des parties tendait au transfert à l’autorité délégante de ces produits constatés d’avance au terme du contrat afin que la commune puisse, en l’absence de reprise en régie du service, reverser ces sommes au futur délégataire, l’équilibre économique du contrat ne justifiant pas leur conservation par le délégataire sortant. Par suite, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la société Vert-Marine n’aurait pas bénéficié du reversement prévu à l’article 30 en début d’exécution, ce qu’elle n’établit aucunement au demeurant, la commune de Boulogne-Billancourt pouvait valablement émettre un titre exécutoire en vue de recouvrer ces sommes sur le fondement du contrat. Par suite, c’est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est fondé, pour annuler le titre exécutoire litigieux, sur la circonstance que celui-ci était dépourvu de base légale.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société Vert-Marine tant devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise que devant la cour. Sur les autres moyens soulevés par la société Vert-Marine :

En ce qui concerne le bien-fondé du titre exécutoire :

5. En premier lieu, aux termes de l’article 37 du contrat de délégation de service public : ” (…) A la société signataire de la convention d’exploitation de service public se substitue (…) une société dédiée dont l’objet social est réservé à l’exécution de la présente convention (…) / Le délégataire s’engage à demeurer parfaitement et entièrement solidaire des engagements qui incombent à la société dédiée. (…) “.

6. Les stipulations précitées de l’article 37 du contrat n’ont pas eu pour effet de libérer la société Vert-Marine des engagements contractuels transmis à la société dédiée VM 92100 dans le cadre de l’exécution du contrat, la société Vert-Marine s’étant engagée à demeurer parfaitement et entièrement solidaire des engagements qui incombaient à sa filiale. Dans ces conditions, la commune de Boulogne-Billancourt a pu valablement adresser le 21 septembre 2020 le titre exécutoire à la société Vert-Marine compte tenu de l’engagement contractuel de solidarité financière qu’elle avait souscrit à l’égard de sa société dédiée.

7. En deuxième lieu, aux termes de l’article 49 du contrat litigieux : ” L’autorité délégante et le délégataire conviennent que les différends qui résultent de l’interprétation ou de l’application de la présente convention ou de ses annexes font l’objet d’une tentative de conciliation entre les parties. A défaut d’accord sur la conciliation dans un délai de trois mois à compter de la constatation du litige, la partie la plus diligente peut soumettre le litige à la juridiction administrative compétente. (…) “.

8. En l’absence de toute précision au contrat sur les formes et modalités que devait prendre la tentative de conciliation préalable entre les parties, les nombreux échanges de courriers ayant eu lieu entre la commune de Boulogne-Billancourt et la société Vert-Marine du 5 juillet 2019 au 31 août 2020 relatifs au reversement des produits constatés d’avance doivent s’analyser comme une tentative de conciliation préalable au sens des stipulations précitées de l’article 37 du contrat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.

9. Enfin, si la société Vert-Marine conteste le montant de la créance réclamée par le titre exécutoire, la commune de Boulogne-Billancourt a toutefois produit, pour justifier de la réalité et du montant de sa créance, le journal des ventes retraçant le montant des produits constatés d’avance relatifs aux abonnements et aux cautions non reversées aux usagers communiqué par la société Récréa, nouveau délégataire du service public, à partir des bases de données de la société Vert-Marine. La société intimée, à qui ces documents ont été communiqués, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause l’existence ou le calcul des produits retracés. Si la société Vert-Marine soutient par ailleurs que la commune de Boulogne-Billancourt a déjà bénéficié d’une partie des recettes d’exploitation dont elle sollicite le reversement au travers du mécanisme d’intéressement prévu par l’article 27.2 du contrat de concession, elle ne l’établit aucunement. Par suite, la société Vert-Marine n’est pas fondée à soutenir que la réalité de la créance d’un montant de 175 187,37 euros n’est pas établie.

En ce qui concerne la régularité du titre exécutoire :

10. En premier lieu, aux termes, d’une part, du 4° de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : ” (…) En application des articles L. 111-2 et L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration, le titre de recettes individuel ou l’extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l’a émis ainsi que les voies et délais de recours. / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation. (…) “. Et aux termes du premier alinéa de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration : ” Toute décision prise par l’une des autorités administratives mentionnées à l’article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. “.

11. Il résulte des dispositions de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales citées au point précédent que le titre de recettes individuel ou l’extrait du titre de recettes collectif doit mentionner les nom, prénoms et qualité de l’auteur de cette décision, au sens des dispositions citées au point précédent de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration, de même, par voie de conséquence, que l’ampliation adressée au redevable, et d’autre part, qu’il appartient à l’autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de cet auteur.

12. Il résulte de l’instruction que le bordereau du titre de recettes produit par la commune a été signé par M. A… C…, directeur général adjoint, de façon électronique par un procédé certifié conformément aux prescriptions de l’article L. 212-3 du code des relations entre le public et l’administration, ainsi qu’il résulte des pièces transmises par la commune de Boulogne-Billancourt attestant de l’adhésion de la commune à la convention cadre nationale relative à la dématérialisation des documents de la chaîne comptable et financière des collectivités et de l’utilisation, à compter de juin 2015, du protocole d’échange standard PESV2 et de la signature électronique avec un certificat RGS2*. Il résulte par ailleurs de l’arrêté du maire de la commune du 2 juin 2020 portant délégation de signature à M. C…, régulièrement affiché le 3 juin 2020, que ce dernier avait compétence, en cas d’absence de Mme D… B…, directrice générale des services, pour signer notamment ” les bordereaux de titres “, arrêté qui, contrairement à ce que soutient la société Vert-Marine, définit avec une précision suffisante le domaine de compétence de M. C…. Par suite, la société Vert-Marine n’est fondée à soutenir ni que le titre exécutoire litigieux a méconnu les dispositions de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ni qu’il est entaché d’incompétence.

13. En second lieu, aux termes du deuxième alinéa de l’article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : ” (…) Toute créance liquidée faisant l’objet d’une déclaration ou d’un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. (…) “. Tout état exécutoire doit ainsi indiquer les bases de liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il a été émis, à moins que ces bases n’aient été préalablement portées à la connaissance du débiteur.

14. D’une part, le titre exécutoire contesté mentionne quatre créances correspondant aux produits constatés d’avance ” Piscine PCA Fiscal ” d’un montant de 119 014,62 euros TTC, ” Piscine PCA temps passé ” pour un montant de 3 339,89 euros TTC, ” Piscine journal des ventes cautions rendues ” pour un montant de 48 485 euros TTC et ” patinoire PCA fiscal ” pour un montant de 4 347,86 euros TTC. D’autre part, si la société Vert-Marine fait valoir qu’elle n’a reçu le courrier du 1er septembre 2020 explicitant les bases de liquidation que le 21 septembre 2020, elle n’établit pas que ce courrier lui serait parvenu postérieurement à la réception du titre exécutoire daté du 4 septembre 2020. Par ailleurs, il résulte de l’instruction que la société Vert-Marine avait été préalablement rendue destinataire le 28 juillet 2020 d’un courrier de la commune, à laquelle le titre exécutoire faisait implicitement mais nécessairement référence, lui notifiant sa créance au titre des produits constatés d’avance de la délégation de service public dont l’exploitation s’était achevée le 30 juin 2019 et les pièces justifiant leur mode de calcul. Par suite, la requérante n’est pas fondée à soutenir qu’elle n’aurait pas été régulièrement informée des bases et éléments de calcul de la dette dont le règlement lui était demandé.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Boulogne-Billancourt est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé le titre exécutoire émis à l’encontre de la société Vert-Marine le 4 septembre 2020 et a déchargé cette société de l’obligation de payer la somme de 175 187,37 euros.

Sur les frais relatifs à l’instance :

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de la commune de Boulogne-Billancourt, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par la société Vert-Marine et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Vert-Marine la somme de 2 000 euros au titre des frais d’instance exposés par la commune de Boulogne-Billancourt sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

  • Article 1er : Le jugement n° 2010978 du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
  • Article 2 : La demande présentée par la société Vert-Marine devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.
  • Article 3 : La société Vert-Marine versera à la commune de Boulogne-Billancourt la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
  • Article 4 : Les conclusions présentées par la société Vert-Marine au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
  • Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Boulogne-Billancourt et à la société par actions simplifiées Vert-Marine.

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Table des matières
CAA Versailles 7 novembre 2024.,
Clause de règlement amiable,
Conciliation préalable obligatoire,
Délégation de service public piscine patinoire,
Échanges de courriers conciliation,
Force obligatoire des contrats,
Règlement amiable litiges administratifs,
Titres exécutoires contrats publics,
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