CE, 11 juillet 2025, Société Système Wolf, n° 502377
Ce qu’il faut retenir :
À défaut de transmission d’un projet de décompte final au maître d’œuvre, le titulaire d’un marché de travaux ne peut pas se prévaloir de la naissance d’un décompte général et définitif dans les conditions de l’article 13.4.4 du CCAG-Travaux 2009.
Enseignement n° 1 : Un décompte général et définitif tacite n’est susceptible de naître qu’à la condition que l’entreprise ait initialement saisi le maître d’œuvre d’un projet de décompte final
L’article 12.4.4 du CCAG-Travaux de 2021, et avant lui l’article 13.4.2 de la version de 2009 des CCAG, prévoient le bénéfice pour le titulaire diligent confronté à l’inaction du maître d’ouvrage, d’un décompte général et définitif tacite. La procédure prévoit que le titulaire dont le projet de décompte final n’a pas connu de suite dans les 30 jours peut saisir directement le maître d’ouvrage d’un projet de décompte général, ce dernier disposant alors de 10 jours pour lui notifier le décompte général du marché. À l’expiration de ce délai, le projet du titulaire devient le décompte général et définitif (DGD).
Dans un arrêt du 11 juillet 2025, le Conseil d’État a été amené à préciser les contours de l’élément déclencheur de cette procédure d’exception. En effet la société Système Wolf, titulaire de lots de marché de construction d’un gymnase, présentait au juge des conclusions tendant à obtenir l’octroi d’une provision. En présence de telles conclusions, il appartenait au juge de vérifier que l’obligation de payer n’était pas sérieusement contestable (art. R. 541-1 du code de justice administrative).
Le Conseil d’État commence par rappeler que pour cette procédure d’exception puisse être déclenchée, encore faut-il que le délai de 30 jours imparti au maître d’ouvrage soit expiré et, partant, encore faut-il qu’il ait effectivement commencé à courir. Or, « à défaut de transmission du projet de décompte final au maître d’œuvre, le délai de trente jours prévu par l’article 13.4.2 imparti au maître d’ouvrage pour notifier au titulaire du marché le décompte général ne peut pas courir ». De ce fait, il se déduit qu’aucun décompte général et définitif tacite ne pourrait naître au bénéfice du titulaire, même si celui-ci devait effectivement accomplir les bonnes démarches par la suite (v. déjà en ce sens CE 25 juin 2018, Sté Merceron TP, n° 417738).
Enseignement n° 2 : Un simple courrier ne pas valoir projet de décompte final
En l’espèce, la société Système Wolf avait adressé au maître d’œuvre un courrier le 18 août 2023 intitulé ” Facturation DGD “. Or, tant sur la forme que sur le fond, la notion de projet de décompte final est encadrée juridiquement. Outre le principe de la facturation électronique qui, s’il n’est pas respecté, entraîne le rejet automatique de la demande de paiement, les CCAG-Travaux de 2009 et de 2021 prévoient que le projet de décompte final doit comporter les mêmes parties que les projets de décomptes mensuels. Autrement dit, en tant que de besoin, les parties suivantes : travaux et autres prestations du marché ; approvisionnements ; primes ; remboursement des débours incombant au maître de l’ouvrage dont l’entrepreneur a fait l’avance, le cas échéant. Si le Haut juge administratif laisse transparaître peu de choses quant à la forme et au contenu du courrier en cause, il constate néanmoins qu’il « ne revêtait pas le caractère d’un projet de décompte final ».
Le Conseil d’État en déduit qu’aucun projet de décompte final n’a été valablement transmis au maître d’œuvre et, par conséquent, que le délai de 30 jours imparti au maître d’ouvrage n’a jamais commencé à courir. Par effet domino, et quelles soient les démarches ultérieurement accomplies par le titulaire, aucun décompte général et définitif tacite n’a pu naître à son bénéfice.
CE, 11 juillet 2025, Société Système Wolf, n° 502377
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la société Système Wolf est titulaire de deux lots du marché de travaux de construction d’un gymnase à Fontaine-Française passé par la communauté de communes Mirebellois et Fontenois. Elle a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon de condamner la communauté de communes Mirebellois et Fontenois à lui verser une provision de 179 298,55 euros toutes taxes comprises (TTC) en règlement du solde de ces deux lots. Elle se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 27 février 2025 par laquelle le juge des référés de la cour administrative de Lyon a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre l’ordonnance du 29 octobre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Dijon qui a rejeté sa demande.
Sur le pourvoi en cassation :
2. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Dijon que la communauté de communes Mirebellois et Fontenois a produit un mémoire en défense, qui a été enregistré au greffe de ce tribunal le 15 juillet 2024, concluant au rejet de la requête de la société Système Wolf. Ce mémoire a été communiqué par le greffe à cette société le même jour, avec l’indication selon laquelle : ” Dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites en deux exemplaires dans les meilleurs délais ” et : ” Afin de ne pas retarder la mise en état d’être jugé de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l’estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible “. De telles indications ne permettaient pas à la société Système Wolf, en l’absence de date déterminée, de connaître de façon certaine le délai dans lequel elle était invitée à produire ses observations en réplique et, en l’absence d’audience, elle n’a, en outre, pas été mise en mesure de les faire éventuellement valoir avant que le juge des référés ne rejette sa demande. Par suite, en jugeant que l’ordonnance ainsi rendue n’avait pas méconnu les exigences du caractère contradictoire de la procédure, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit.
3. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, que la société Système Wolf est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance du juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon qu’elle attaque.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au titre de la procédure de référé engagée :
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que la société Système Wolf est fondée à soutenir que l’ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif de Dijon est intervenue à la suite d’une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l’annulation.
6. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Système Wolf devant le juge des référés du tribunal administratif de Dijon.
7. D’une part, aux termes de l’article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), dans sa rédaction issue de l’arrêté du 3 mars 2014 applicable au litige : ” Après l’achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final (…) “. Aux termes de l’article 13.3.2 : ” Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d’œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux (…) “. Aux termes de l’article 13.3.3 : ” Le maître d’œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final (…) “.
8. D’autre part, aux termes de l’article 13.4.2 du même cahier : ” Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général (…) : (…) – trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire (…) “. Aux termes de l’article 13.4.4 : ” Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l’article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, un projet de décompte général signé, composé : – du projet de décompte final (…) – du projet d’état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final (…). Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire (…). Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n’a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif (…). Le décompte général et définitif lie définitivement les parties “.
9. Il résulte des stipulations citées aux points 7 et 8 qu’à défaut de transmission du projet de décompte final au maître d’œuvre, le délai de trente jours prévu par l’article 13.4.2 imparti au maître d’ouvrage pour notifier au titulaire du marché le décompte général ne peut pas courir, ce qui fait obstacle à la naissance d’un décompte général et définitif tacite selon les modalités prévues par l’article 13.4.4.
10. La société Système Wolf soutient qu’elle a droit à une provision de 179 298,55 euros TTC, cette somme correspondant au montant cumulé des soldes des décomptes généraux des lots n°s 3 et 4, lesquels ont, selon elle, acquis tacitement un caractère définitif en application des stipulations du CCAG citées au point 8. Il résulte toutefois de l’instruction que la société Système Wolf n’a adressé à la société Architude, maître d’œuvre, qu’un courrier le 18 août 2023 intitulé ” Facturation DGD ” qui ne revêtait pas le caractère d’un projet de décompte final. Par suite, elle ne peut être regardée comme lui ayant transmis un tel projet. Dans ces conditions, le délai prévu à l’article 13.4.2. n’ayant pas couru, elle ne peut se prévaloir de l’existence d’un décompte général et définitif tacite.
11. Il résulte de ce qui précède que la demande de la société Système Wolf tendant à l’octroi d’une provision en règlement du solde des lots n°s 3 et 4 du marché en litige doit être rejetée.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Système Wolf une somme de 3 000 euros à verser à la communauté de communes Mirebellois et Fontenois au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté de communes Mirebellois et Fontenois qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DECIDE :
- Article 1er : L’ordonnance du 27 février 2025 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon est annulée.
- Article 2 : L’ordonnance du 29 octobre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Dijon est annulée.
- Article 3 : La demande présentée par la société Système Wolf devant le juge des référés du tribunal administratif de Dijon et ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
- Article 4 : La société Système Wolf versera à la communauté de communes Mirebellois et Fontenois la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
- Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Système Wolf et à la communauté de communes Mirebellois et Fontenois.