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Publié le 25 Sep 2025

Directive concessions et SIGNE : la CJUE réaffirme l’inopérance des qualifications nationales et exclut les officines de pharmacie du champ des services non économiques

CJUE, 10 juillet 2025, 4ème Chambre,
Farmacija d.o.o. contre Občina Benedikt, C-715/23

Ce qu’il faut retenir :

Les activités de SIGNE (service d’intérêt général non économique) ne relève pas du champ de la directive européenne « concessions », cependant il ne suffit pas que le législateur national qualifie une activité de SIGNE pour qu’elle soit considérée comme telle.

Enseignement n° 1 : Pour identifier une activité de SIGNE évinçant la directive concessions, les qualifications nationales sont inopérantes

Dans un arrêt du 10 juillet 2025, la Cour de justice de l’Union européenne est venue repréciser la portée de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 dite « directive concessions ». Celui-ci détermine le champ d’application de cette directive en excluant les services d’intérêt général non économiques, les fameux « SIGNE ». Or, la question se posait en l’espèce de savoir si les officines de pharmacie relèvent, ou non, de cette qualification.
À titre liminaire, la Cour rappelle le cadre interprétatif de ces dispositions. En effet, la notion même de SIGNE n’est pas définie par le droit dérivé, et dans le même temps les textes européens prévoient la compétence des Etats-membres pour fournir, faire exécuter, et organiser ces services.
Ces arguments ne suffisent pas pour autant à emporter la conséquence que la notion de SIGNE doive être abandonnée aux qualifications nationales. Bien au contraire, la Cour souligne que selon une jurisprudence constante une interprétation autonome et uniforme – donc européenne – doive être recherchée chaque fois qu’il n’existe pas de renvoi exprès à la compétence des États-membres (v. récemment CJUE, 13 mars 2025, n° C 337/23, pt. 49). Cela pour garantir tant les principes généraux d’égalité et d’application uniforme du droit de l’Union, que pour garantir plus particulièrement en l’espèce les libertés de prestation de service et d’établissement au sein du territoire de l’UE. Dans le cas contraire, il y aurait un risque, relève-t-elle à la suite de son avocat général, de fragmentation du marché intérieur.
Ainsi la qualification par le législateur national d’une activité comme relevant d’un SIGNE « ne saurait être déterminante » (v. CJUE, 14 juillet 2022, n° C 436/20, pt. 55), autre manière de la déclarer tout simplement inopérante. Elle ne peut même pas prétendre au rang de simple indice.
La Cour souligne par ailleurs que s’agissant tout particulièrement des officines, ce raisonnement est d’autant plus fondé que les modalités d’activités « peuvent varier sensiblement d’un État membre à l’autre », et donc accroître exponentiellement le risque de divergences nationales dans l’application du droit de l’Union.

Enseignement n° 2 : Les officines de pharmacie relèvent d’une activité à caractère économique et ainsi ne peuvent être qualifiées de SIGNE

Finalement la Cour se saisit de son rôle d’interprète authentique du droit de l’Union pour procéder à la qualification, ou non, de SIGNE s’agissant des officines de pharmacie. Elle commence pour cela par rappeler que la qualification de SIGNE répond à deux conditions : le service doit être fourni à des fins d’intérêt général, et le service ne doit pas présenter de caractère économique. Ces conditions étant cumulatives, il suffit que l’une ne soit pas caractérisée pour que la qualification de SIGNE puisse être rejetée dans son ensemble. Et c’est précisément à cette économie de moyen que se livre la Cour en l’espèce.
Constitue une « activité économique » tout prestation de services fournie contre rémunération, étant entendu qu’il n’est pas nécessaire que la rémunération soit payée par le bénéficiaire de la prestation du moment que cette dernière a bien une contrepartie (v. CJUE, 1er février 2017, n° C 392/15, pt. 100). Dans la mesure où un pharmacien poursuit l’objectif de recherche de bénéfices, l’exploitation d’une officine de pharmacie est perçue par la Cour comme une activité économique, « même s’il est censé exploiter la pharmacie en tenant compte de sa formation, de son expérience professionnelle et de la responsabilité qui lui incombe au vu des règles légales ou déontologiques ». Peu importe que l’activité soit financée en partie par des fonds publics et/ou qu’elle fasse partie intégrante du système de santé.
Et puisqu’il s’agit d’une activité économique, il est clair que les officines de pharmacie ne peuvent pas relever de la qualification de SIGNE, sans qu’il soit besoin ni déterminant de vérifier qu’elles fournissent bien un service à des fins d’intérêt général.


CJUE, 10 juillet 2025, 4ème Chambre,
Farmacija d.o.o. contre Občina Benedikt, C-715/23

Le litige au principal et les questions préjudicielles

25  Le 11 mars 2022, la commune de Benedikt a, sans publication préalable d’un avis de concession, octroyé à MN une autorisation pour l’exploitation d’une succursale d’une officine de pharmacie sur son territoire pour une durée indéterminée.
26  Farmacija a introduit une demande de révision de cette autorisation devant la commune de Benedikt. Elle a considéré, en substance, que cette commune avait accordé une concession pour l’exercice d’une activité d’officine de pharmacie sans que la procédure applicable ait été respectée, et ce en violation de la directive 2014/23.
27  La commune de Benedikt a rejeté la demande de révision sans examen au fond, estimant que Farmacija ne bénéficiait pas d’un droit de recours ni dans le cadre de la procédure préalable à la révision ni dans le cadre de la procédure de révision proprement dite. Cette commune considère ainsi que la délivrance d’une autorisation pour l’exploitation d’une succursale d’une officine de pharmacie ne constitue pas, sur le fond, une attribution de concession de services.
28  Farmacija a introduit un recours contre cette décision, renvoyé devant la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (Commission nationale de contrôle des procédures de passation des marchés publics, Slovénie), qui est la juridiction de renvoi. Farmacija a réitéré, devant cette commission, la position selon laquelle, en délivrant l’autorisation de concession de service sans suivre la procédure établie par le ZNKP et la directive 2014/23, la commune de Benedikt avait violé ces textes.
29  La juridiction de renvoi estime que l’autorisation d’exploitation d’une succursale de pharmacie délivrée par la commune de Benedikt correspond à l’attribution d’une concession pour l’exercice d’une activité pharmaceutique. Cette juridiction nourrit toutefois des doutes sur le point de savoir si un service d’exercice d’une activité pharmaceutique relève du champ d’application de la directive 2014/23. Plus particulièrement, elle se demande si un tel service doit être considéré comme étant un service d’intérêt général non économique ou un service d’intérêt économique général.
30  À cet égard, la juridiction de renvoi relève, d’une part, que le législateur slovène a prévu que l’activité de santé, dont fait partie l’activité pharmaceutique, constitue un service d’intérêt général non économique. Selon cette juridiction, il est nécessaire de prendre en compte le rôle essentiel que jouent les officines de pharmacie dans la santé publique, ainsi que leur financement, qui les place dans une relation privilégiée avec l’État et les distingue d’autres opérateurs économiques.
31  D’autre part, ladite juridiction observe que la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt du 14 juillet 2022, ASADE (C 436/20, EU:C:2022:559), que les prestations de services fournis contre rémunération constituent des activités économiques. Elle relève que, en vertu de la réglementation nationale, les prestataires de services que sont les officines de pharmacie sont rémunérés par des fonds provenant de l’assurance obligatoire de santé, mais également par ceux provenant des utilisateurs.
32  Par ailleurs, dans la mesure où des services que sont les officines de pharmacie, tels que ceux en cause dans le litige dont elle est saisie, ne pourraient pas être considérés comme étant constitutifs d’un service d’intérêt général non économique au motif que les prestataires de ces services perçoivent une rémunération, ce qui ferait entrer lesdits services dans le champ d’application de la directive 2014/23, la juridiction de renvoi se demande si les mêmes services seraient susceptibles de relever de la notion de « services sociaux et autres services spécifiques », visée à l’article 19 de cette directive.
33  Dans ces conditions, la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (Commission nationale de contrôle des procédures de passation des marchés publics) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1)  Le service d’exercice de l’activité pharmaceutique dont l’objet essentiel est la délivrance à l’utilisateur de médicaments à usage humain soumis ou non à prescription médicale, y compris la fourniture de conseils à l’utilisateur aux fins d’une utilisation correcte et sûre de ces médicaments, peut il être qualifié de “ service d’intérêt général non économique ”, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23 ?
2)  Le service d’exercice de l’activité pharmaceutique dont l’objet essentiel est la délivrance à l’utilisateur de médicaments à usage humain soumis ou non à prescription médicale, y compris la fourniture de conseils à l’utilisateur aux fins d’une utilisation correcte et sûre de ces médicaments, relève t il des services sociaux et autres services spécifiques, au sens de l’article 19 de la directive 2014/23 ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

34  Le gouvernement slovène considère que la présente demande de décision préjudicielle adressée par la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (Commission nationale de contrôle des procédures de passation des marchés publics) n’est pas recevable dans la mesure où cette commission n’est pas, en vertu des dispositions du droit national, l’autorité compétente pour connaître du litige au principal et que, partant, elle n’a pas la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.
35  À cet égard, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, la qualité de « juridiction » de l’organe de renvoi dépend d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de cet organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par ledit organe, des règles de droit ainsi que son indépendance (arrêt du 8 juin 2017, Medisanus, C 296/15, EU:C:2017:431, point 33 et jurisprudence citée).
36  En l’occurrence, il convient de rappeler que la Cour a déjà eu l’occasion de constater, dans l’arrêt du 8 juin 2017, Medisanus (C 296/15, EU:C:2017:431), que la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (Commission nationale de contrôle des procédures de passation des marchés publics) remplissait les critères pour être considérée comme étant une « juridiction nationale », au sens de l’article 267 TFUE.
37  Cette considération n’a pas été remise en cause par la Cour dans ses arrêts du 10 septembre 2020, Tax-Fin-Lex (C 367/19, EU:C:2020:685), et du 10 novembre 2022, SHARENGO (C 486/21, EU:C:2022:868), répondant à des questions préjudicielles également posées par la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (Commission nationale de contrôle des procédures de passation des marchés publics).
38  Or, le gouvernement slovène soutient que la présente affaire se distingue de celles dans lesquelles la Cour a déjà reconnu la qualité de juridiction à cette commission dans la mesure où celle-ci n’est pas compétente pour juger de l’affaire au principal, ce qui impliquerait que ladite commission n’a pas la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.
39  À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, d’une part, il n’appartient à celle-ci ni de remettre en cause l’appréciation par la juridiction de renvoi de la recevabilité du recours au principal, qui relève, dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, de la compétence du juge national, ni de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires. La Cour doit s’en tenir à la décision de renvoi émanant d’une juridiction d’un État membre, tant qu’elle n’a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national [voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens), C 658/18, EU:C:2020:572, point 61, ainsi que du 30 septembre 2020, CPAS de Liège, C 233/19, EU:C:2020:757, point 36 et jurisprudence citée].
40  D’autre part, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence et que, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est donc possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 25 février 2025, Sąd Rejonowy w Białymstoku et Adoreikė, C 146/23 et C 374/23, EU:C:2025:109, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
41  En l’occurrence, il convient de relever qu’il appartient à la seule juridiction de renvoi de déterminer les limites de sa propre compétence. Par ailleurs, il convient également de constater que les questions posées par cette juridiction présentent un rapport avec l’objet du litige au principal, qu’aucune de ces questions n’est de nature hypothétique et que la Cour dispose des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile auxdites questions au sens de la jurisprudence de la Cour précitée.
42  Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la première question

43  Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens que l’activité d’exploitation d’une officine de pharmacie, dont la partie essentielle consiste en la délivrance, contre rémunération, de médicaments à usage humain, soumis ou non à prescription médicale, ainsi qu’en la fourniture de conseils concernant l’utilisation correcte et sûre de ces médicaments, relève de la notion de « services d’intérêt général non économiques », visée à cette disposition.
44  Afin de répondre à cette question, il convient d’interpréter la notion de « services d’intérêt général non économiques », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23, qui détermine le champ d’application de cette directive en excluant ces services. En effet, il ressort du libellé de cette disposition, lue à la lumière du considérant 6 de ladite directive, que les « services d’intérêt général non économiques » ne relèvent pas du champ d’application de celle-ci.
45  Il convient de relever à cet égard que, d’une part, la notion de « services d’intérêt général non économiques » n’a pas été définie dans le traité FUE ni dans le droit dérivé, notamment dans la directive 2014/23.
46  D’autre part, il importe de constater que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23 ne contient pas non plus de renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de la notion de « services d’intérêt général non économiques ».
47  Or, selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de cette disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, EU:C:1984:11, point 11, et du 13 mars 2025, APS Beta Bulgaria et Agentsia za kontrol na prosrocheni zadalzhenia, C 337/23, EU:C:2025:183, point 49 ainsi que jurisprudence citée).
48  Dès lors, la question de savoir si les services fournis dans le cadre de l’activité d’une officine de pharmacie constituent des services d’intérêt général non économiques, au sens de la réglementation de l’Union, relève du droit de l’Union. Ainsi, la qualification, par le législateur national, d’une telle activité comme relevant d’un service d’intérêt général non économique, mise en exergue par le gouvernement slovène, ne saurait être déterminante (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C 213/13, EU:C:2014:2067, point 40, et du 14 juillet 2022, ASADE, C 436/20, EU:C:2022:559, point 55 ainsi que jurisprudence citée).
49  En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 59, 61 et 62 de ses conclusions, le bon fonctionnement du marché intérieur de l’Union, qui comporte, entre autres, la libre prestation de services et la liberté d’établissement, comme il ressort de l’article 26, paragraphe 2, TFUE, ne peut être assuré que par une compréhension uniforme de la notion de « services d’intérêt général non économiques ». Dans le cas contraire, il y aurait un risque d’application hétérogène des règles du droit de l’Union concernées, ce qui pourrait entraîner une fragmentation du marché intérieur. Ainsi, compte tenu du fait que les modalités d’activité des officines de pharmacie peuvent varier sensiblement d’un État membre à l’autre, en raison des spécificités de la réglementation nationale applicable, la qualification juridique de sa nature par les États membres ne peut être déterminante. Par conséquent, la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser des services d’intérêt général non économiques, telle que mentionnée au considérant 6 et à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/23 et telle que prévue à l’article 2 du protocole no 26 sur les services d’intérêt général (JO 2012, C 326, p. 308), annexé au traité FUE, ne peut pas faire obstacle à une interprétation autonome de cette notion.
50  S’agissant de la définition de la notion de « services d’intérêt général non économiques », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23, il convient de relever, à l’instar de M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, que cette notion comporte deux éléments cumulatifs. Un tel service doit, premièrement, être fourni à des fins d’intérêt général et, deuxièmement, présenter un caractère non économique. Il y a lieu, dès lors, afin de déterminer si les services des officines de pharmacie relèvent du champ d’application de cette disposition, de vérifier s’ils présentent ou non un caractère économique.
51  À cet égard, dans la mesure où la notion de « services d’intérêt général non économiques » figure dans la directive 2014/23, elle doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence de la Cour et, plus particulièrement, de celle relative au respect des libertés consacrées dans le traité FUE ainsi qu’aux principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence qui doivent être garantis en vertu de cette directive dont la base juridique comprend l’article 53, paragraphe 1, et les articles 62 et 114 TFUE.
52  En particulier, la notion de « services », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23, doit être interprétée à la lumière de la liberté de prestation de services consacrée à l’article 56 TFUE et dont le champ d’application est limité aux activités économiques (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2022, ASADE, C 436/20, EU:C:2022:559, point 59). En outre, cette notion définissant le champ d’application d’une des libertés fondamentales garanties par le traité FUE, elle ne peut pas être interprétée restrictivement (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2000, Deliège, C 51/96 et C 191/97, EU:C:2000:199, point 52 ainsi que jurisprudence citée).
53  Il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’une prestation de services fournie contre rémunération constitue une « activité économique », étant entendu que la caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause, sans pour autant qu’elle doive être payée par le bénéficiaire de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 1er février 2017, Commission/Hongrie, C 392/15, EU:C:2017:73, point 100, et du 14 juillet 2022, ASADE, C 436/20, EU:C:2022:559, point 60).
54  Ces considérations sont corroborées par le texte même de la directive 2014/23. En effet, l’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », précise, en substance, que les accords, décisions ou autres instruments juridiques qui organisent le transfert de compétences et de responsabilités en vue de l’exécution de missions publiques confiées par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices aux opérateurs économiques doivent être rémunérées pour relever du champ d’application de ladite directive.
55  S’agissant, en particulier, de l’activité d’une officine de pharmacie, la Cour a précisé que celle-ci constitue l’exercice d’une activité économique, relevant du champ d’application de l’article 49 TFUE (arrêt du 19 décembre 2019, Comune di Bernareggio, C 465/18, EU:C:2019:1125, point 27 et jurisprudence citée), et qu’un pharmacien poursuit l’objectif de la recherche de bénéfices, même s’il est censé exploiter la pharmacie en tenant compte de sa formation, de son expérience professionnelle et de la responsabilité qui lui incombe au vu des règles légales ou déontologiques (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C 171/07 et C 172/07, EU:C:2009:316, point 37).
56  Cette constatation ne saurait être remise en cause par les arguments soulevés par le gouvernement slovène selon lesquels l’activité lucrative d’une officine de pharmacie n’est qu’accessoire, est financée en partie par des fonds publics et fait partie intégrante du système de santé, fondé sur le principe de solidarité. En effet, le seul facteur déterminant pour la qualification de l’activité d’une telle officine comme étant un service à caractère économique est celui selon lequel les prestations liées à ladite activité sont fournies contre rémunération.
57  Compte tenu du fait que, ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, les services fournis par des officines de pharmacie ne constituent pas des services de caractère non économique, il n’est pas nécessaire, afin d’évaluer si de tels services relèvent de la notion de « services d’intérêt général non économiques », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23, de vérifier s’ils sont fournis à des fins d’intérêt général.
58  Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens que l’activité d’exploitation d’une officine de pharmacie, dont la partie essentielle consiste en la délivrance, contre rémunération, de médicaments à usage humain, soumis ou non à prescription médicale, ainsi qu’en la fourniture de conseils concernant l’utilisation correcte et sûre de ces médicaments, ne relève pas de la notion de « services d’intérêt général non économiques », visée à cette disposition.

Sur la seconde question

59  Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19 de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens que l’activité d’exploitation d’une officine de pharmacie, dont la partie essentielle consiste en la délivrance, contre rémunération, de médicaments à usage humain, soumis ou non à prescription médicale, ainsi qu’en la fourniture de conseils concernant l’utilisation correcte et sûre de ces médicaments, relève de la notion de « services sociaux et autres services spécifiques », visée à cet article 19.
60  À cet égard, il convient de relever qu’il ressort d’une analyse textuelle de l’annexe IV de la directive 2014/23 que parmi la catégorie des « [s]ervices sanitaires, sociaux et connexes » figurant à cette annexe se trouvent ceux correspondant aux codes 85000000-9 à 85323000-9 de la nomenclature Common Procurement Vocabulary (CPV). Étant donné que les services de pharmacie correspondent au code CPV 85149000 5, ces services doivent donc être considérés comme faisant partie des services spécifiques, au sens de l’article 19 de la directive 2014/23.
61  Par ailleurs, l’article 19 de la directive 2014/23 prévoit un régime particulier pour les concessions relatives aux « services sociaux et aux autres services spécifiques ». En effet, cette directive prévoit un « régime assoupli » pour ces services ainsi qu’il est précisé à son considérant 36 dans la mesure où lesdits services sont exemptés de l’application intégrale de ladite directive.
62  C’est ainsi que, aux termes de l’article 19 de la directive 2014/23, seules les obligations découlant de l’article 31, paragraphe 3, ainsi que des articles 32, 46 et 47 de celle-ci s’appliquent aux concessions relatives aux services sociaux et aux autres services spécifiques dont la liste figure à l’annexe IV de cette directive. En particulier, d’une part, les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices sont tenus de faire connaître l’attribution envisagée uniquement au moyen d’un avis de préinformation, qui, conformément à l’article 31, paragraphe 3, de ladite directive, contient les informations indiquées à l’annexe VI de celle-ci. D’autre part, les avis d’attribution de concession, prévus à l’article 32 de la même directive, peuvent être regroupés par trimestre et doivent contenir les informations prévues à l’annexe VIII de celle-ci lorsqu’ils concernent de tels services.
63  En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi, dans un premier temps, de déterminer si l’autorisation d’exploitation d’une officine de pharmacie, telle que celle en cause dans le litige au principal, correspond à une concession, au sens de la directive 2014/23, et, le cas échéant, si cette concession est soumise au régime simplifié de passation établi à l’article 19 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Roma Multiservizi et Rekeep, C 332/20, EU:C:2022:610, point 96).
64  Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 19 de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens que l’activité d’exploitation d’une officine de pharmacie, dont la partie essentielle consiste en la délivrance, contre rémunération, de médicaments à usage humain, soumis ou non à prescription médicale, ainsi qu’en la fourniture de conseils concernant l’utilisation correcte et sûre de ces médicaments, relève de la notion de « services sociaux et autres services spécifiques », visée à cet article 19.

Sur les dépens

65  La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)  L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession,
doit être interprété en ce sens que :
l’activité d’exploitation d’une officine de pharmacie, dont la partie essentielle consiste en la délivrance, contre rémunération, de médicaments à usage humain, soumis ou non à prescription médicale, ainsi qu’en la fourniture de conseils concernant l’utilisation correcte et sûre de ces médicaments, ne relève pas de la notion de « services d’intérêt général non économiques », visée à cette disposition.

2)  L’article 19 de la directive 2014/23
doit être interprété en ce sens que :
l’activité d’exploitation d’une officine de pharmacie, dont la partie essentielle consiste en la délivrance, contre rémunération, de médicaments à usage humain, soumis ou non à prescription médicale, ainsi qu’en la fourniture de conseils concernant l’utilisation correcte et sûre de ces médicaments, relève de la notion de « services sociaux et autres services spécifiques », visée à cet article 19.


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