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Publié le 16 Oct 2024

L’acheteur n’est pas tenu de suivre l’avis du jury de concours

CE, 30 juillet 2024, Communauté d’agglomération Valence Romans Agglo, n° 470756

Ce qu’il faut retenir :

Le Conseil d’État confirme que l’acheteur n’est en aucun cas tenu de suivre l’avis émis par le jury de concours et qu’il peut notamment porter son choix sur un autre candidat que celui classé premier par le jury. Il soumet néanmoins ce pouvoir d’appréciation au contrôle de l’erreur manifeste.

Enseignement n° 1 : L’acheteur peut s’écarter de l’avis du jury

L’article 88 du Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, aujourd’hui codifié aux articles R2162-15 et suivants du code de la commande publique, règlemente la technique d’achat sur concours. Ces dispositions prévoient notamment l’intervention d’un jury de concours qui a pour rôle de rendre un avis dans l’objectif d’éclairer le choix du lauréat par l’acheteur. Selon la lettre, « l’acheteur choisit le ou les lauréats du concours au vu des procès-verbaux et de l’avis du jury ».

Dans la pratique, les acheteurs choisissent de suivre l’avis, et donc le classement, proposé par le jury. Il arrive toutefois, comme dans l’affaire en cause, que l’acheteur choisisse de s’écarter de ces propositions. La communauté d’agglomération Valence Romans Agglo avait lancé un concours restreint de maîtrise d’œuvre à l’issue duquel elle choisit de désigner lauréat non pas le groupement qui avait les faveurs du jury mais celui classé deuxième. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Lyon avait accueilli partiellement le recours en contestation de validité du contrat introduit par le premier groupement.

Les juges d’appel semblaient vouloir donner un effet utile aux dispositions du IV de l’article 88 précité (article R.2162-19 du code aujourd’hui), selon lesquelles le choix de l’acheteur se fait au regard de l’avis du jury. Ils avaient ainsi posé en principe que l’acheteur ne pouvait s’écarter de l’avis du jury qu’à condition d’être en mesure de justifier que les motifs qu’il privilégie doivent manifestement prévaloir sur le classement établi par le jury.

Saisi en cassation, le Conseil d’État est venu confirmer que l’acheteur n’est en aucun cas tenu de suivre l’avis émis par le jury de concours et qu’il peut notamment porter son choix sur un autre candidat que celui classé premier par le jury.

Enseignement n° 2 : Le choix de l’acheteur est discrétionnaire, dans la limite de l’erreur manifeste d’appréciation

Dans un second temps, il a précisé qu’aucun principe général n’implique que l’acheteur qui s’écarte de l’avis du jury doivent justifier que l’offre qu’il retient est manifestement meilleure que celle proposée.

Il soumet toutefois au contrôle de l’erreur manifeste le choix de l’acheteur de rejeter l’offre classée première par le jury. En l’espèce, les motifs avancés au soutien du rejet de l’offre du groupement classé premier tenaient, d’une part, à ce que le projet dépassait substantiellement l’enveloppe prévisionnelle des travaux (surcoût de plus de 600.000 euros HT), et d’autre part, à ce que le projet nécessitait de lourdes adaptations fonctionnelles (important percement d’une façade, suppression totale des murs de refend et création d’un grand escalier central monumental). Le juge vérifie la matérialité de ces points avant de conclure que l’acheteur n’a pas commis d’erreur manifeste en désignant lauréat le groupement classé second.

 


Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 30/07/2024, 470756

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo a, par un avis d’appel public à la concurrence du 4 juillet 2016, lancé un concours restreint sur avant-projet sommaire en vue de la conclusion d’un marché de maîtrise d’œuvre pour la réhabilitation de l’ancienne caserne militaire de Latour-Maubourg située à Valence et sa reconversion pour accueillir une médiathèque et des archives intercommunales. Ce marché a été attribué le 30 mars 2017 au groupement conjoint formé par la société Rudy Ricciotti, mandataire, et les sociétés AA Group, Certib et Lasa. Le tribunal administratif de Grenoble a été saisi par M. B…, mandataire, M. F…, la société Batiserf Ingénierie, M. D…, la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue, qui avaient formé ensemble un groupement dont l’offre n’a pas été retenue, d’une demande d’annulation ou, à défaut, de résiliation de ce marché et d’indemnisation du préjudice subi du fait de leur éviction. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes. La communauté d’agglomération Valence Romans Agglo se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 24 novembre 2022 de la cour administrative d’appel de Lyon en tant que cet arrêt a, sur appel de M. B…, de M. F…, de la société Batiserf Ingénierie, de M. D…, de la société Acoustique Vivié et associés et de la société Bureau Michel Forgue, annulé ce jugement en tant qu’il avait rejeté leurs conclusions indemnitaires et fait partiellement droit à ces dernières. Le pourvoi de la communauté d’agglomération doit être regardé comme dirigé contre les articles 1er à 3 de cet arrêt, qui seuls font grief à la requérante. Pour leur part, M. B…, M. F…, la société Batiserf Ingénierie, M. D…, la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue ont formé un pourvoi incident contre cet arrêt.

Sur le pourvoi principal :

2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation d’un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé ne peut, à l’appui du recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Aux termes de l’article 8 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée alors en vigueur, relative aux marchés publics : ” Le concours est un mode de sélection par lequel l’acheteur choisit, après mise en concurrence et avis d’un jury, (…) un projet, notamment dans le domaine (…) de l’urbanisme, de l’architecture (…) “. Aux termes de l’article 88 du décret du 25 mars 2016 susvisé alors en vigueur, relatif aux marchés publics : ” I. – L’acheteur qui organise un concours défini à l’article 8 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée publie un avis de concours (…) II. (…) Lorsque le concours est restreint, l’acheteur établit des critères de sélection clairs et non discriminatoires des participants au concours. (…) III. – Le jury (…) examine les candidatures et formule un avis motivé sur celles-ci. Lorsque le concours est restreint, l’acheteur fixe la liste des candidats admis à concourir (…) Le jury examine les (…) projets présentés par les participants au concours de manière anonyme et en se fondant exclusivement sur les critères d’évaluation des projets définis dans l’avis de concours. Il consigne dans un procès-verbal, signé par ses membres, le classement des projets ainsi que ses observations et, le cas échéant, tout point nécessitant des éclaircissements et les questions qu’il envisage en conséquence de poser aux candidats concernés (…) IV. – L’acheteur choisit le ou les lauréats du concours au vu des procès-verbaux et de l’avis du jury (…) “.

4. Il résulte de ces dispositions que l’acheteur n’est pas tenu de suivre l’avis émis par le jury du concours et qu’il peut, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury.

5. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo avait méconnu les dispositions précédemment citées en retenant l’offre du groupement dont la société Rudy Ricciotti était mandataire, qui avait été classée deuxième par le jury, et en écartant en conséquence celle du groupement de M. B… et autres, qui avait été classée première, la cour administrative d’appel, après avoir posé en principe que l’acheteur ne pouvait s’écarter de l’avis du jury qu’à condition d’être en mesure de justifier que les motifs qu’il privilégie ” doivent manifestement prévaloir sur le classement établi ” par le jury, a jugé que l’inversion du classement du jury n’était ” pas manifestement justifiée pour les motifs invoqués par l’autorité adjudicatrice “. En statuant ainsi, alors qu’il ne résulte ni des dispositions précitées ni d’aucun principe général que l’acheteur ne pourrait s’écarter de l’avis du jury qu’à la condition que l’offre qu’il retient soit manifestement meilleure que celle proposée par le jury, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo est fondée à demander l’annulation des articles 1er à 3 de l’arrêt qu’elle attaque.

Sur le pourvoi incident :

7. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent M. B… et autres, la cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les pièces du dossier en relevant que le marché avait été entièrement exécuté. Les conclusions de leur pourvoi incident dirigées contre l’article 4 de l’arrêt attaqué en tant qu’il rejette leurs conclusions d’appel tendant à la résiliation du marché ne peuvent, par suite, qu’être rejetées.

8. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les conclusions du pourvoi incident formé par M. B… et autres dirigées contre les articles 1er à 3 de l’arrêt attaqué sont devenues sans objet. Il n’y a, dès lors, plus lieu d’y statuer.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la mesure de la cassation prononcée.

Sur le règlement au fond du litige :

10. En premier lieu, d’une part, il résulte de l’instruction que le groupement attributaire a proposé un coût global sur dix ans d’un montant de 779 297 euros hors taxes, alors que le groupement de M. B… et autres avait proposé un coût de 1 775 444 euros hors taxes. En se bornant à comparer les montants des deux offres et alors que le jury a estimé que l’ensemble des projets semblaient mal évalués, M. B… et autres ne démontrent pas que le coût global sur dix ans proposé par le groupement attributaire pour un bâtiment d’une surface de plus de 5 000 m2 serait manifestement sous-évalué. Par suite et sans qu’il soit besoin d’ordonner une mesure d’instruction, M. B… et autres n’établissent pas que l’offre retenue serait irrégulière pour ce motif. D’autre part, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Grenoble au point 7 de son jugement, d’écarter le moyen tiré de ce que l’offre retenue n’était pas régulière en raison d’une sous-évaluation du coût des travaux.

11. En second lieu, par un courrier en date du 16 février 2017, la communauté d’agglomération a informé le groupement dont M. B… est mandataire que, malgré son classement au premier rang par le jury, sa proposition avait été rejetée au motif que ” malgré un parti architectural très respectueux du site et un coût global satisfaisant, le projet dépassait substantiellement l’enveloppe prévisionnelle fixée et nécessiterait de lourdes adaptations fonctionnelles “. Il résulte de l’instruction d’une part que leur offre, d’un montant de 11 239 822 euros hors taxes (HT) dépassait l’enveloppe prévisionnelle des travaux, que le règlement du concours avait fixée au stade de l’offre à 10,6 millions d’euros en précisant qu’elle constituait un plafond, d’autre part que le projet des requérants reposait sur un parti architectural comportant un important percement de la façade Nord en rez-de-chaussée, la suppression totale des murs de refend et la création d’un grand escalier central monumental. En rejetant pour ces motifs l’offre du groupement dont M. B… était mandataire et en choisissant un autre projet présenté au concours, la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Les conclusions d’appel de M. B… et autres doivent, par suite et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité, être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. B…, de M. F…, de la société Batiserf Ingénierie, de M. D…, de la société Acoustique Vivié et associés et de la société Bureau Michel Forgue une somme de 500 euros chacun à verser à la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative pour les instances d’appel et de cassation.

13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

DÉCIDE :
————–

  • Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt du 24 novembre 2022 de la cour administrative d’appel de Lyon sont annulés.
  • Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi incident de M. B…, M. F…, la société Batiserf Ingénierie, M. D…, la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue tendant à l’annulation des articles 1er à 3 de l’arrêt du 24 novembre 2022 de la cour administrative d’appel de Lyon. Les conclusions de ce même pourvoi incident dirigées contre l’article 4 du même arrêt sont rejetées.
  • Article 3 : Les conclusions indemnitaires présentées par M. B…, M. F…, la société Batiserf Ingénierie, M. D…, la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue devant la cour administrative d’appel de Lyon sont rejetées.
  • Article 4 : M. B…, M. F…, la société Batiserf Ingénierie, M. D…, la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue verseront chacun à la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo une somme de 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
  • Article 5 : Les conclusions présentées par M B…, M. F…, la société Batiserf Ingénierie, M. D…, la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
  • Article 6 : La présente décision sera notifiée à la communauté d’agglomération Valence Romans agglomération et à M. E… B…, représentant unique, pour l’ensemble des défendeurs.

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Table des matières
Article R2162-15 du code de la commande publique,
Article R2162-19 du code de la commande publique,
avis du jury,
avis du jury de concours marchés publics,
caserne militaire de Latour-Maubourg,
CE 30 juillet 2024,
Concours de maîtrise d'œuvre,
conseil d'état,
erreur manifeste d’appréciation,
Valence Romans Agglo,
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