TA Paris, 21 juillet 2025, Société Foch Partners, n° 2518155
Ce qu’il faut retenir :
Un acheteur est fondé à écarter une offre incomplète en raison d’un fichier corrompu, sauf si le soumissionnaire établit de manière probante que cette corruption est imputable à un dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation. La charge de la preuve du bon fonctionnement du fichier au moment de son dépôt incombe au candidat évincé.
Enseignement n° 1 : Un fichier corrompu équivaut à une pièce manquante rendant l’offre irrégulière
Les articles L. 3124-2 et L. 3124-3 du code de la commande publique appliquent aux concessions des principes bien connus des marchés publics. Le premier prévoit que l’autorité concédante doit écarter les offres irrégulières ou inappropriées, le second précise qu’une offre est irrégulière lorsqu’elle ne respecte pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. L’arrêt rendu par le tribunal administratif de Paris le 21 juillet 2025 illustre la portée concrète de ces dispositions puisque le juge a été conduit à se prononcer sur le rejet d’une offre jugée incomplète, en raison d’un fichier corrompu et inouvrable.
Dans le cadre de la concession portant sur la rénovation et l’exploitation du Pavillon Royal, la Ville de Paris avait constaté l’impossibilité d’ouvrir l’un des fichiers déposés par la société Foch Partners, nécessaire à l’appréciation du critère de la qualité du projet d’exploitation. L’offre se trouvait donc privée d’un élément substantiel exigé par le règlement de la consultation. En l’absence de copie de sauvegarde déposée par le groupement, l’acheteur a considéré que cette impossibilité rendait l’offre irrégulière et l’a écartée.
Le juge confirme cette analyse : un fichier endommagé équivaut, en pratique, à une pièce manquante, et conduit à une offre incomplète au sens de l’article L. 3124-3 du CCP. Cette position réaffirme une conception stricte de l’intégrité matérielle du dossier transmis par voie dématérialisée : l’offre doit être intégralement exploitable au moment de son examen, sans que l’acheteur ait à entreprendre de démarches supplémentaires pour la reconstituer ou en solliciter la régularisation (v. par ex. TA Montpellier, 29 oct. 2024, n° 2405722 : une offre dont le mémoire technique zippé est inexploitable est irrégulière et de surcroit non régularisable).
Enseignement n° 2 : La preuve de l’intégrité du fichier au moment du dépôt incombe au candidat évincé
Restait toutefois à déterminer si la défaillance pouvait être imputée à un dysfonctionnement du profil d’acheteur. La société soutenait que le fichier avait été corrompu postérieurement à son dépôt, soit par une erreur de manipulation de la Ville, soit par un défaut technique de la plateforme Maximilien. Elle produisait plusieurs attestations pour étayer son argumentation.
Le juge écarte cependant ces éléments, considérant qu’ils ne démontraient pas de manière certaine que le fichier initialement transmis était intact au moment du dépôt : en effet la première des deux attestations fournies attestait simplement de l’ouverture d’un fichier du même nom « en local » sur l’ordinateur de l’entreprise, sans garantie qu’il s’agisse du fichier déposé ; et la seconde attestation, réalisée sur le profil d’acheteur en cause, n’attestait pas de l’ouverture du fichier litigieux. À l’inverse, la Ville produisait le constat d’un commissaire de justice attestant du message d’erreur à l’ouverture du fichier tel que reçu sur la plateforme.
Sur ce point, le raisonnement du juge est clair : c’est à l’entreprise évincée qu’il incombe d’apporter la preuve du bon fonctionnement de son fichier lors du dépôt, et non à l’acheteur de démontrer que la corruption provient de l’offre. En l’absence de démonstration probante, l’autorité concédante est réputée avoir agi régulièrement en rejetant l’offre incomplète. Cette ligne jurisprudentielle ne saurait manquer d’être rapprochée de la position du Conseil d’État en matière d’offres déposées hors délai en raison d’un problème technique : c’est à l’entreprise de rapporter la preuve que son équipement fonctionne et qu’aucune négligence de sa part ne peut lui être reproché (tardiveté, notamment), et c’est seulement dans un second temps qu’il appartiendra à l’acheteur de se défendre en prouvant que son profil d’acheteur n’a pas connu de dysfonctionnement (CE, 23 sept. 2021, RATP, n° 449250).
TA Paris, 21 juillet 2025, Société Foch Partners, n° 2518155
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis de concession, la Ville de Paris a lancé, le 11 décembre 2023, une procédure de concession de travaux portant sur la rénovation et l’exploitation de l’établissement dénommé ” Le Pavillon Royal “. La société Foch Partners, en groupement, a déposé une offre finale le 27 janvier 2025. Elle n’a pas transmis de copie de sauvegarde comme elle en avait la possibilité. Par un courrier du 17 juin 2025, la Ville de Paris a informé la société Foch Partners que son offre finale était irrégulière car incomplète, le fichier ” Mémoire 4 novembre exploitation “, qui devait permettre l’appréciation du critère n°3 relatif à la qualité du projet d’exploitation, étant endommagé et ne pouvant être ouvert. Suite à une demande de la société, la Ville de Paris a fourni des captures d’écran de messages d’erreur affichés à l’ouverture du fichier et le fichier corrompu, dans une version renommée par la Ville de Paris ” Mémoire 4 “. La société Foch Partners demande à ce que soit annulée, au stade de l’analyse des offres, la procédure de passation, ensemble la décision de rejet de son offre et que soit reprise la procédure au stade de l’analyse des offres.
Sur les conclusions au titre de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ”
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l’administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d’être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l’opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. Aux termes de l’article L. 3124-2 du code de la commande publique : ” L’autorité concédante écarte les offres irrégulières ou inappropriées. ” L’article L. 3124-3 du même code dispose : ” Une offre est irrégulière lorsqu’elle ne respecte pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation “.
5. L’article 7 du règlement de la consultation de la concession dispose que : ” 7. Délais et modalités de remise des candidatures et des offres / S’agissant d’une procédure ouverte, chacun des soumissionnaires doit présenter son offre selon les conditions suivantes : / Le dossier contenant la totalité des pièces exigées et décrites à l’article II du présent règlement de consultation sera envoyé par voie éléctronique via la plateforme https://marches.maximulien.fr. “.
6. La société requérante soutient que le fichier dénommé ” Mémoire 4 novembre exploitation ” intégré dans le sous-dossier ” Mémoire n°-MAJ ” du dossier compressé intitulé ” Janvier 2025 “, n’était pas endommagé au moment de son dépôt et que l’impossibilité rencontrée par la Ville à ouvrir le fichier ne peut qu’être imputable à un dysfonctionnement du profil d’acheteur, la plateforme Maximilien, ou à une mauvaise manipulation par la Ville lorsqu’elle a procédé au renommage du fichier. La société requérante se prévaut pour ce faire de deux attestations de commissaires de justice du 26 juin 2025. Toutefois, la première attestation de justice atteste seulement de l’ouverture d’un fichier du même nom compris dans un dossier stocké en ” local ” dans un ordinateur de bureau et la deuxième, réalisée sur la plateforme Maximilien, n’atteste pas de l’ouverture du fichier en cause. Ainsi, ni ces deux attestations, ni le courrier du 15 juillet 2025 de la société Factoria 2.0 adressé à Caneva, qui ne nomme pas les fichiers ni la procédure de passation concernée, ne permettent pas de remettre en cause l’attestation du commissaire de justice mandaté par la Ville de Paris, faite le 3 juillet 2025, à partir du dossier compressé de l’offre déposée par la société requérante sur la plateforme Maximilien, montrant un message ” erreur de donnée ” à l’ouverture du fichier et l’impossibilité en résultant de l’ouvrir. Il ressort en outre des pièces soumises au juge des référés que le problème technique générant cette impossibilité d’ouvrir le fichier de l’offre n’a pas pour origine un dysfonctionnement de la plateforme Maximilien. Par suite, la Ville de Paris n’a commis aucun manquement en rejetant comme irrégulière car incomplète, l’offre de la société requérante.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation et en injonction de la société Foch Partners doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l’instance :
8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la Société Foch Partners demande à ce titre. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Foch Partners, au même titre, le versement d’une somme de 1 500 euros à la Ville de Paris et d’une somme de 1 500 euros à la société Clavi.
D E C I D E :
- Article 1er : La requête de la société Foch Partners est rejetée.
- Article 2 : La société Foch Partners versera à la société Clavi une somme de 1 500 euros et à la Ville de Paris une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
- Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Foch Partners, à la société Clavi et à la Ville de Paris.
