La question de la défense européenne est restée le sujet phare du conseil européen qui s’est tenu les 20 et 21 mars 2025. L’objectif affirmé, y compris par le Président de la République1, est de donner une nouvelle impulsion à la défense européenne sur la base du libre blanc présenté par la Commission européenne le 19 mars 20252.
. Cet objectif passe notamment par une réaffirmation du principe de la préférence européenne dans le domaine de la défense comme le rappelle la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen : « nous devons privilégier les achats européens parce que cela implique un renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne. Cela permet de stimuler l’innovation et, en outre, de créer un marché des équipements de défense à l’échelle de l’UE3».Un instrument financier baptisé SAFE (Security Action for Europe) est même destiné à accorder des prêts bonifiés aux Etats membres pour financer les investissements à condition de respecter une préférence européenne de manière à garantir que les retombées économiques bénéficient directement aux Etats membres l’Union européenne et que les nouveaux matériels ne puissent pas être neutralisés pas des Etats tiers à l’Union européenne voire plus4…
Ceci rappelé, il semblerait que le tribunal administratif de Paris ait déjà pris le parti de saper le dispositif de principe de la préférence européenne dans le domaine des marchés publics de la défense tant les dernières jurisprudences rendues ont pour effet de contourner le principe de la préférence européenne via un raisonnement juridique qui ne manque pas de surprendre.
La juridiction administrative de Paris considère en effet que l’interdiction de participation des opérateurs économiques « hors UE » posée par l’article R2342-7 du code de la commande publique pour certains marchés publics de la défense ne s’appliquerait pas aux sous-traitants ou sous-contractants5. Pour le dire autrement, cette interdiction ne s’appliquerait qu’au seul soumissionnaire ou titulaire et non au sous-traitant présenté lors de la mise en concurrence ou en cours d’exécution du contrat. De quoi finalement réduire à néant tout le dispositif espéré quand on sait que la juridiction administrative n’a jamais posé de limites claires sur l’étendue de la sous-traitance autorisée…
Cette jurisprudence, si elle devait être confirmée, réduirait donc comme peau de chagrin le « made in UE » dans le domaine crucial des marchés publics de la défense et serait en décalage total avec les objectifs annoncés au plus haut niveau politique. Dit autrement, la juridiction administrative opérerait un dynamitage en règle du principe de la préférence européenne pour les marchés publics de la défense. Ou, pour reprendre une expression de notre Chef de l’Etat, cette jurisprudence, si elle devait être consacrée, constituerait une « menace existentielle » du principe de préférence européenne.
Ce qu’il faut retenir : L’interdiction de participation des opérateurs économiques hors UE annoncée dans les documents de la consultation en application de l’article R2342-7 du code de la commande publique s’applique-t-elle au sous-traitant présenté lors de la mise en concurrence ou en cours d’exécution du contrat? Une réponse positive semble s’imposer au regard des règles de la commande publique. Or tel n’est manifestement pas l’interprétation retenue par tribunal administratif de Paris dans des conditions qui permettent de contourner très facilement le principe de préférence européenne.
En matière de marchés publics de la défense, la loi et plus précisément l’article L2353-1 du code de la commande publique pose un principe de préférence européenne : « Les marchés de défense ou de sécurité, exclus ou exemptés de l’accord sur les marchés ou d’un autre accord international équivalent auquel l’Union européenne est partie, sont passés avec des opérateurs économiques d’Etats membres de l’Union européenne.
L’acheteur peut toutefois autoriser, au cas par cas, les opérateurs économiques d’un pays tiers à l’Union européenne à participer à une procédure de passation ».
Dans sa fiche consacrée aux dispositifs permettant d’écarter les offres des pays tiers en matière de commande publique, la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’économie rappelle ce principe en précisant qu’il appartient au Ministère des Armées de décider, au cas par cas, si la consultation est ouverte à des opérateurs économiques « hors UE » : « La particularité des contrats de la commande publique de défense ou de sécurité est d’être toujours exclus du champ d’application des accords internationaux existants. En conséquence, les articles L. 2353-1 et L. 3124-6 du code de la commande publique prévoient un système souple : c’est à l’acheteur ou à l’autorité concédante de décider, au cas par cas, s’il autorise les opérateurs économiques de pays autres que des États membres à participer à la procédure de passation du marché public ou du contrat de concession (……) Ainsi, en principe, les marchés publics et les contrats de concession de défense ou de sécurité sont passés avec des opérateurs économiques d’États membres de l’UE ou de l’EEE » (page 30/38).
L’article R2342-7 du code de la commande publique précise en effet la possibilité d’ouvrir la consultation à des opérateurs hors UE à la condition que cela soit précisé dans les documents de la consultation :« L’acheteur indique dans l’avis d’appel à la concurrence si la procédure de passation est ouverte aux opérateurs économiques des pays tiers à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen ».
Il s’agit donc là d’une exigence des cahiers des charges que les candidatures et les offres devaient respecter à peine d’irrégularité.
Le tribunal administratif de Paris considère que cette interdiction de participation des opérateurs économiques hors UE posée par les cahiers des charges en application des articles L2353-1 et R2342-7 du code de la commande publique ne s’applique pas aux sous-traitants au sens large. Cette interprétation qui ne repose sur aucune disposition, ni sur aucun principe, permet de contourner avec une facilité déconcertante le principe de la préférence européenne.
Toutes les interdictions de soumissionner prévues par le code de la commande publique et les cahiers des charges ont vocation à s’appliquer non seulement aux soumissionnaires mais également aux sous-traitants. On voit mal comment il pourrait en aller autrement.
Il devrait en aller de même concernant l’interdiction de participation à la procédure posée par les cahiers des charges en application de l’article R2342-7 du CCP qui doit s’appliquer non seulement aux soumissionnaires mais également aux sous-traitants. Et cela pour une raison de bon sens: la présentation du sous-traitant (formulaire DC 4) fait partie intégrante de la candidature et de l’offre du soumissionnaire dont elle est indissociable.
Ainsi, (1) soit la candidature et l’offre du soumissionnaire respectent, dans leur globalité (sous-traitant compris), les exigences des documents de la consultation et elles sont régulières, (2) soit, elles dérogent aux exigences des cahiers des charges et elles doivent alors être considérées comme irrégulières.
L’interdiction de participation à la procédure de mise en concurrence des opérateurs économiques hors UE posée par l’article R2342-7 du CCP conditionne la régularité de la candidature et de l’offre du soumissionnaire dans sa globalité, sous-traitant compris, sauf à permettre un contournement du dispositif d’interdiction dans des conditions qui seraient très dangereuse tant d’un point de vue juridique, politique et économique. En clair, vous n’avez pas le droit de rentrer par la grande porte de la mise en concurrence en qualité de soumissionnaire mais vous pouvez passer par la porte de service de derrière en qualité de sous-traitant : c’est assez risible mais tel est la solution consacrée.
Cet exemple certes simpliste mais qui a le mérite de la clarté permet de comprendre que les interdictions posées dans les cahiers des charges qui conditionnent la participation à une procédure de mise en concurrence s’appliquent non seulement aux soumissionnaires qui portent l’offre mais également aux sous-traitants qui font partie intégrante de l’offre. Autrement dit, la régularité de la situation du sous-traitant conditionne la régularité de l’offre du soumissionnaire.
A titre d’exemple, la Fiche technique de la DAJ sur la mise en œuvre de l’interdiction d’attribuer ou d’exécuter des contrats de la commande publique avec la Russie prend le soin de préciser que les interdictions de soumissionner liées à la nationalité d’un opérateur s’appliquent aussi bien aux soumissionnaires qu’aux sous-traitants que ces derniers déclarent dans leur candidature et leur offre: « Pour les sous-traitants, le contrôle des contrats de sous-traitance, préalable à leur acceptation et à l’agrément de leurs conditions de paiement au titre du droit à paiement direct, permet de la même manière d’identifier ceux qui entrent dans le champ des sanctions du fait de leur nationalité » (page 3/5).
Raisonner autrement permettrait de contourner les interdictions de toutes natures posées par la réglementation de la commande publique et les cahiers des charges en faisant appel à la sous-traitance, et notamment le principe de la préférence européenne qui est devenue l’un des vecteurs prioritaires des marchés publics de la défense au minimum jusqu’en 2030….
Il faut bien admettre que les candidatures et les offre qui ne respectent pas les interdictions posées dans les cahiers des charges doivent être considérées comme irrégulières6 en application des dispositions des articles L2152-1, L2152-2 et L2352-1 du CCP.
Tel est donc le cas des candidatures et des offres qui proposent des sous-traitants « hors UE » en cas d’application des articles L2353-1 et R2342-7 du code de la commande publique pour la passation des marchés publics de la défense. Il est incohérent de limiter l’interdiction au seul soumissionnaire et partir du principe qu’un-sous-traitant n’est pas concerné par les interdictions posées par les cahiers des charges sauf à vider de tout son sens au passage le principe de préférence européenne.
Pour faire échec à l’application du principe de préférence européenne, le tribunal administratif de Paris considère notamment que le principe de préférence européenne ne s’appliquerait qu’aux opérateurs économiques et que cette qualification serait limitée aux soumissionnaires qui déposent une offre et non aux sous-traitants. Un tel raisonnement est très réducteur de la notion d’opérateur économique dès lors qu’un sous-traitant n’est pas un simple fournisseur dès lors qu’il exécute une partie des prestations du marché.
Mais surtout, il ne tient pas en application des dispositions du code de la commande publique. L’interdiction posée par les articles L2353-1 et R2342-7 du code de la commande publique s’attache à la qualité d’opérateur économique au sens des dispositions du code de la commande publique qui concerne tous les opérateurs économiques susceptible d’exécuter tout ou partie des prestations d’un marché public, ce qui est bien le cas des sous-traitants.
Et pour cause puisque :
En premier lieu, l’article L2393-1 du code de la commande publique indique qu’un sous-traitant (ou sous-contractant) à la qualité « d’opérateur économique » au sens des dispositions du code de la commande publique: « Dans les conditions fixées par le présent chapitre, le titulaire d’un marché de défense ou de sécurité peut, sous sa responsabilité, confier à un autre opérateur économique, dénommé sous-contractant, l’exécution d’une partie de son marché, y compris un marché de fournitures, sans que cela consiste en une cession du marché ».
En deuxième lieu, l’article L2141-14 du code de la commande publique confirme qu’un sous-traitant a la qualité d’opérateur économique au sens de la réglementation de la commande publique puisqu’il y est indiqué: « Lorsque le sous-traitant à l’encontre duquel il existe un motif d’exclusion est présenté au stade de la procédure de passation d’un marché, l’acheteur exige son remplacement par un autre opérateur économique qui ne fait pas l’objet d’un motif d’exclusion, dans un délai de dix jours à compter de la réception de cette demande par le candidat ou le soumissionnaire, sous peine d’exclusion de la procédure ».
Dans sa fiche tout spécialement consacrée aux marchés de défense, la DAJ rappelle encore qu’un sous-traitant ou sous-contractant est un « opérateur économique » au sens des dispositions du code de la commande publique :« Le premier alinéa de l’article L. 2393-1 du code de la commande publique définit le régime juridique applicable aux sous-contrats des marchés de défense ou de sécurité. Il dispose que « le titulaire d’un marché de défense ou de sécurité peut, sous sa responsabilité, confier à un autre opérateur économique, dénommé sous-contractant, l’exécution d’une partie de son marché, y compris un marché de fournitures, sans que cela consiste en une cession du marché ». La notion de sous-traitant utilisée par la directive 2009/81/CE est plus large qu’en droit national » (page 5/9).
En troisième lieu, dans sa fiche sur la sous-traitance, la DAJ confirme encore qu’un sous-traitant est un opérateur économique : « En matière de marchés publics, la sous-traitance est l’opération par laquelle l’opérateur titulaire d’un marché public qui présente lui-même les caractéristiques d’un contrat d’entreprise confie à un opérateur tiers, par contrat et sous sa responsabilité, l’exécution d’une partie des prestations qui lui ont été confiées par l’acheteur » (page 1/16).
L’interdiction de participation des opérateurs économiques hors UE posée par les cahiers des charges en application de l’article R2342-7 du code de la commande publique s’applique donc à tous les opérateurs économiques dont les sous-traitants.
Le jugement du tribunal administratif de Paris est d’autant plus surprenant que dans cette affaire, les documents de la consultation dont on sait qu’ils ont valeur obligatoire s’agissant des conditions de participation (CE 20 septembre 2019, Collectivité de Corse, n°4210, CE 23 octobre 2020, n°437791) considéraient qu’un sous-traitant devait être considéré comme un opérateur économique
Il faut donc bien l’admettre : une candidature ou une offre qui se prévaut des moyens humains, matériels et des éventuels agréments d’un opérateur économique sous-traitant interdit de participer à la procédure d’attribution d’un marché public de la défense en raison de sa nationalité doit être considérée comme irrégulière.
A défaut, c’est ouvrir la boîte de pandore et mettre à mal le principe de la préférence européenne.
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions à fin de contestation de la validité du contrat :
En ce qui concerne la candidature de la société attributaire :
S’agissant de la capacité de la société Jet Aviation France :
S’agissant de la capacité de la société Jet aviation AG, sous-contractante :
S’agissant de l’étendue des prestations confiées à la société Jet aviation AG :
S’agissant de la détention des agréments M et 145 :
S’agissant des vérifications opérées par le pouvoir adjudicateur :
la société Jet aviation AG, sous-contractant, aurait produit les certificats fiscaux et sociaux requis et le certificat AGEFIPH, un tel manquement, à le supposer existant, n’est pas en rapport direct avec son éviction. Par suite, ce moyen ne peut qu’être écarté.
En ce qui concerne la régularité de l’offre de la société attributaire :