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Publié le 31 Mar 2025

Marché public de la défense : la juridiction administrative entend-elle saborder le principe de préférence européenne ?

TA Paris 12 novembre 2024, n°2113501

La question de la défense européenne est restée le sujet phare du conseil européen qui s’est tenu les 20 et 21 mars 2025. L’objectif affirmé, y compris par le Président de la République1, est de donner une nouvelle impulsion à la défense européenne sur la base du libre blanc présenté par la Commission européenne le 19 mars 20252.
. Cet objectif passe notamment par une réaffirmation du principe de la préférence européenne dans le domaine de la défense comme le rappelle la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen : « nous devons privilégier les achats européens parce que cela implique un renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne. Cela permet de stimuler l’innovation et, en outre, de créer un marché des équipements de défense à l’échelle de l’UE3».Un instrument financier baptisé SAFE (Security Action for Europe) est même destiné à accorder des prêts bonifiés aux Etats membres pour financer les investissements à condition de respecter une préférence européenne de manière à garantir que les retombées économiques bénéficient directement aux Etats membres l’Union européenne et que les nouveaux matériels ne puissent pas être neutralisés pas des Etats tiers à l’Union européenne voire plus4

Ceci rappelé, il semblerait que le tribunal administratif de Paris ait déjà pris le parti de saper le dispositif de principe de la préférence européenne dans le domaine des marchés publics de la défense tant les dernières jurisprudences rendues ont pour effet de contourner le principe de la préférence européenne via un raisonnement juridique qui ne manque pas de surprendre.

La juridiction administrative de Paris considère en effet que l’interdiction de participation des opérateurs économiques « hors UE » posée par l’article R2342-7 du code de la commande publique pour certains marchés publics de la défense ne s’appliquerait pas aux sous-traitants ou sous-contractants5. Pour le dire autrement, cette interdiction ne s’appliquerait qu’au seul soumissionnaire ou titulaire et non au sous-traitant présenté lors de la mise en concurrence ou en cours d’exécution du contrat. De quoi finalement réduire à néant tout le dispositif espéré quand on sait que la juridiction administrative n’a jamais posé de limites claires sur l’étendue de la sous-traitance autorisée…

Cette jurisprudence, si elle devait être confirmée, réduirait donc comme peau de chagrin le « made in UE » dans le domaine crucial des marchés publics de la défense et serait en décalage total avec les objectifs annoncés au plus haut niveau politique. Dit autrement, la juridiction administrative opérerait un dynamitage en règle du principe de la préférence européenne pour les marchés publics de la défense. Ou, pour reprendre une expression de notre Chef de l’Etat, cette jurisprudence, si elle devait être consacrée, constituerait une « menace existentielle » du principe de préférence européenne.

Ce qu’il faut retenir : L’interdiction de participation des opérateurs économiques hors UE annoncée dans les documents de la consultation en application de l’article R2342-7 du code de la commande publique s’applique-t-elle au sous-traitant présenté lors de la mise en concurrence ou en cours d’exécution du contrat? Une réponse positive semble s’imposer au regard des règles de la commande publique. Or tel n’est manifestement pas l’interprétation retenue par tribunal administratif de Paris dans des conditions qui permettent de contourner très facilement le principe de préférence européenne.

1. L’affirmation du principe de préférence européenne pour les marchés publics de la défense

En matière de marchés publics de la défense, la loi et plus précisément l’article L2353-1 du code de la commande publique pose un principe de préférence européenne : « Les marchés de défense ou de sécurité, exclus ou exemptés de l’accord sur les marchés ou d’un autre accord international équivalent auquel l’Union européenne est partie, sont passés avec des opérateurs économiques d’Etats membres de l’Union européenne. 

L’acheteur peut toutefois autoriser, au cas par cas, les opérateurs économiques d’un pays tiers à l’Union européenne à participer à une procédure de passation ».

Dans sa fiche consacrée aux dispositifs permettant d’écarter les offres des pays tiers en matière de commande publique, la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’économie rappelle ce principe en précisant qu’il appartient au Ministère des Armées de décider, au cas par cas, si la consultation est ouverte à des opérateurs économiques « hors UE » : « La particularité des contrats de la commande publique de défense ou de sécurité est d’être toujours exclus du champ d’application des accords internationaux existants. En conséquence, les articles L. 2353-1 et L. 3124-6 du code de la commande publique prévoient un système souple : c’est à l’acheteur ou à l’autorité concédante de décider, au cas par cas, s’il autorise les opérateurs économiques de pays autres que des États membres à participer à la procédure de passation du marché public ou du contrat de concession (……) Ainsi, en principe, les marchés publics et les contrats de concession de défense ou de sécurité sont passés avec des opérateurs économiques d’États membres de l’UE ou de l’EEE » (page 30/38).

L’article R2342-7 du code de la commande publique précise en effet la possibilité d’ouvrir la consultation à des opérateurs hors UE à la condition que cela soit précisé dans les documents de la consultation :« L’acheteur indique dans l’avis d’appel à la concurrence si la procédure de passation est ouverte aux opérateurs économiques des pays tiers à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen ».

Il s’agit donc là d’une exigence des cahiers des charges que les candidatures et les offres devaient respecter à peine d’irrégularité.

Le tribunal administratif de Paris considère que cette interdiction de participation des opérateurs économiques hors UE posée par les cahiers des charges en application des articles L2353-1 et R2342-7 du code de la commande publique ne s’applique pas aux sous-traitants au sens large. Cette interprétation qui ne repose sur aucune disposition, ni sur aucun principe, permet de contourner avec une facilité déconcertante le principe de la préférence européenne. 

2. La réduction de la portée du principe de préférence européenne par le tribunal administratif de Paris

Toutes les interdictions de soumissionner prévues par le code de la commande publique et les cahiers des charges ont vocation à s’appliquer non seulement aux soumissionnaires mais également aux sous-traitants. On voit mal comment il pourrait en aller autrement.

Il devrait en aller de même concernant l’interdiction de participation à la procédure posée par les cahiers des charges en application de l’article R2342-7 du CCP qui doit s’appliquer non seulement aux soumissionnaires mais également aux sous-traitants. Et cela pour une raison de bon sens: la présentation du sous-traitant (formulaire DC 4) fait partie intégrante de la candidature et de l’offre du soumissionnaire dont elle est indissociable. 

Ainsi, (1) soit la candidature et l’offre du soumissionnaire respectent, dans leur globalité (sous-traitant compris), les exigences des documents de la consultation et elles sont régulières, (2) soit, elles dérogent aux exigences des cahiers des charges et elles doivent alors être considérées comme irrégulières.

L’interdiction de participation à la procédure de mise en concurrence des opérateurs économiques hors UE posée par l’article R2342-7 du CCP conditionne la régularité de la candidature et de l’offre du soumissionnaire dans sa globalité, sous-traitant compris, sauf à permettre un contournement du dispositif d’interdiction dans des conditions qui seraient très dangereuse tant d’un point de vue juridique, politique et économique. En clair, vous n’avez pas le droit de rentrer par la grande porte de la mise en concurrence en qualité de soumissionnaire mais vous pouvez passer par la porte de service de derrière en qualité de sous-traitant : c’est assez risible mais tel est la solution consacrée.

Cet exemple certes simpliste mais qui a le mérite de la clarté permet de comprendre que les interdictions posées dans les cahiers des charges qui conditionnent la participation à une procédure de mise en concurrence s’appliquent non seulement aux soumissionnaires qui portent l’offre mais également aux sous-traitants qui font partie intégrante de l’offre. Autrement dit, la régularité de la situation du sous-traitant conditionne la régularité de l’offre du soumissionnaire.

A titre d’exemple, la Fiche technique de la DAJ sur la mise en œuvre de l’interdiction d’attribuer ou d’exécuter des contrats de la commande publique avec la Russie prend le soin de préciser que les interdictions de soumissionner liées à la nationalité d’un opérateur s’appliquent aussi bien aux soumissionnaires qu’aux sous-traitants que ces derniers déclarent dans leur candidature et leur offre: « Pour les sous-traitants, le contrôle des contrats de sous-traitance, préalable à leur acceptation et à l’agrément de leurs conditions de paiement au titre du droit à paiement direct, permet de la même manière d’identifier ceux qui entrent dans le champ des sanctions du fait de leur nationalité » (page 3/5).

Raisonner autrement permettrait de contourner les interdictions de toutes natures posées par la réglementation de la commande publique et les cahiers des charges en faisant appel à la sous-traitance, et notamment le principe de la préférence européenne qui est devenue l’un des vecteurs prioritaires des marchés publics de la défense au minimum jusqu’en 2030….

Il faut bien admettre que les candidatures et les offre qui ne respectent pas les interdictions posées dans les cahiers des charges doivent être considérées comme irrégulières6 en application des dispositions des articles L2152-1, L2152-2 et L2352-1 du CCP. 

Tel est donc le cas des candidatures et des offres qui proposent des sous-traitants « hors UE » en cas d’application des articles L2353-1 et R2342-7 du code de la commande publique pour la passation des marchés publics de la défense. Il est incohérent de limiter l’interdiction au seul soumissionnaire et partir du principe qu’un-sous-traitant n’est pas concerné par les interdictions posées par les cahiers des charges sauf à vider de tout son sens au passage le principe de préférence européenne.

3. Un sous-traitant est un opérateur économique soumis aux mêmes interdictions des chahiers des charges que le soumissionnaire

Pour faire échec à l’application du principe de préférence européenne, le tribunal administratif de Paris considère notamment que le principe de préférence européenne ne s’appliquerait qu’aux opérateurs économiques et que cette qualification serait limitée aux soumissionnaires qui déposent une offre et non aux sous-traitants. Un tel raisonnement est très réducteur de la notion d’opérateur économique dès lors qu’un sous-traitant n’est pas un simple fournisseur dès lors qu’il exécute une partie des prestations du marché.

Mais surtout, il ne tient pas en application des dispositions du code de la commande publique. L’interdiction posée par les articles L2353-1 et R2342-7 du code de la commande publique s’attache à la qualité d’opérateur économique au sens des dispositions du code de la commande publique qui concerne tous les opérateurs économiques susceptible d’exécuter tout ou partie des prestations d’un marché public, ce qui est bien le cas des sous-traitants.

Et pour cause puisque :

En premier lieu, l’article L2393-1 du code de la commande publique indique qu’un sous-traitant (ou sous-contractant) à la qualité « d’opérateur économique » au sens des dispositions du code de la commande publique: « Dans les conditions fixées par le présent chapitre, le titulaire d’un marché de défense ou de sécurité peut, sous sa responsabilité, confier à un autre opérateur économique, dénommé sous-contractant, l’exécution d’une partie de son marché, y compris un marché de fournitures, sans que cela consiste en une cession du marché ». 

En deuxième lieu, l’article L2141-14 du code de la commande publique confirme qu’un sous-traitant a la qualité d’opérateur économique au sens de la réglementation de la commande publique puisqu’il y est indiqué: « Lorsque le sous-traitant à l’encontre duquel il existe un motif d’exclusion est présenté au stade de la procédure de passation d’un marché, l’acheteur exige son remplacement par un autre opérateur économique qui ne fait pas l’objet d’un motif d’exclusion, dans un délai de dix jours à compter de la réception de cette demande par le candidat ou le soumissionnaire, sous peine d’exclusion de la procédure ».

Dans sa fiche tout spécialement consacrée aux marchés de défense, la DAJ rappelle encore qu’un sous-traitant ou sous-contractant est un « opérateur économique » au sens des dispositions du code de la commande publique :« Le premier alinéa de l’article L. 2393-1 du code de la commande publique définit le régime juridique applicable aux sous-contrats des marchés de défense ou de sécurité. Il dispose que « le titulaire d’un marché de défense ou de sécurité peut, sous sa responsabilité, confier à un autre opérateur économique, dénommé sous-contractant, l’exécution d’une partie de son marché, y compris un marché de fournitures, sans que cela consiste en une cession du marché ». La notion de sous-traitant utilisée par la directive 2009/81/CE est plus large qu’en droit national » (page 5/9).

En troisième lieu, dans sa fiche sur la sous-traitance, la DAJ confirme encore qu’un sous-traitant est un opérateur économique : « En matière de marchés publics, la sous-traitance est l’opération par laquelle l’opérateur titulaire d’un marché public qui présente lui-même les caractéristiques d’un contrat d’entreprise confie à un opérateur tiers, par contrat et sous sa responsabilité, l’exécution d’une partie des prestations qui lui ont été confiées par l’acheteur » (page 1/16).

L’interdiction de participation des opérateurs économiques hors UE posée par les cahiers des charges en application de l’article R2342-7 du code de la commande publique s’applique donc à tous les opérateurs économiques dont les sous-traitants.

Le jugement du tribunal administratif de Paris est d’autant plus surprenant que dans cette affaire, les documents de la consultation dont on sait qu’ils ont valeur obligatoire s’agissant des conditions de participation (CE 20 septembre 2019, Collectivité de Corse, n°4210, CE 23 octobre 2020, n°437791) considéraient qu’un sous-traitant devait être considéré comme un opérateur économique 

Il faut donc bien l’admettre : une candidature ou une offre qui se prévaut des moyens humains, matériels et des éventuels agréments d’un opérateur économique sous-traitant interdit de participer à la procédure d’attribution d’un marché public de la défense en raison de sa nationalité doit être considérée comme irrégulière.

A défaut, c’est ouvrir la boîte de pandore et mettre à mal le principe de la préférence européenne.

 


TA Paris 12 novembre 2024, n°2113501

Considérant ce qui suit :

  1. La direction de la maintenance aéronautique du ministère des armées a lancé un appel public à la concurrence, paru au BOAMP le 5 avril 2020 et au JOUE du 7 avril 2020, compété par un avis rectificatif publié au BOAMP et au JOUE le 17 avril 2020, pour l’attribution d’un marché public relatif au maintien en condition opérationnelle et à la gestion de fin de vie des avions Falcon 50 et Falcon 200 Gardian de la marine nationale et autres prestations. A l’issue des négociations, le marché a été attribué à la société Jet Aviation France. La société Sabena Technics DNR, candidat évincé, demande au tribunal l’annulation de ce marché, ou à défaut, sa résiliation.

Sur les conclusions à fin de contestation de la validité du contrat : 

  1. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. Il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.

En ce qui concerne la candidature de la société attributaire :

S’agissant de la capacité de la société Jet Aviation France :

  1. Aux termes de l’article L. 2393-12 du code de la commande publique : « Le titulaire du marché peut recourir à la sous-traitance lors de la passation du marché et tout au long de son exécution ». 
  1. Il résulte de l’instruction que lors du dépôt de sa candidature, la société Jet Aviation France a indiqué confier l’exécution d’une partie des prestations à un sous-contractant, la société Jet Aviation AG, société de droit suisse, avec laquelle elle est liée économiquement. Les allégations de la société requérante selon lesquelles la société Jet aviation France serait une société sans activité effective qui ne disposait d’aucun moyen matériel et technique propre et dont la candidature s’appuyait entièrement sur ceux de la société Jet aviation AG ne sont pas suffisamment étayées, et la circonstance que le dossier de candidature de la société Jet aviation France a été déposé par un représentant de la société de droit suisse est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors qu’il n’existe aucun doute, ni aucune ambiguïté dans les documents produits par la société Jet aviation France sur l’identité du candidat à l’attribution du marché en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que la société Jet aviation France serait une « coquille vide » ne peut qu’être écarté.

S’agissant de la capacité de la société Jet aviation AG, sous-contractante :

  1. D’une part, aux termes de l’article R. 2342-7 du code de la commande publique : « L’acheteur indique dans l’avis d’appel public à la concurrence si la procédure de passation est ouverte aux opérateurs économiques des pays tiers à l’Union européenne ou l’Espace économique européen ». Selon le point VI.3) de l’avis d’appel public à la concurrence du marché en litige : « Conformément à l’article R. 2342-7 du code de la commande publique, la présente procédure n’est pas ouverte aux opérateurs économiques des pays tiers à l’Union européenne ou à l’espace économique européen ».
  1. D’autre part, aux termes de l’article L. 2393-1 du code de la commande publique : « Dans les conditions fixées par le présent chapitre, le titulaire d’un marché de défense ou de sécurité peut, sous sa responsabilité, confier à un autre opérateur économique, dénommé souscontractant, l’exécution d’une partie de son marché, y compris un marché de fournitures, sans que cela consiste en une cession du marché. / Un sous-contractant est un sous-traitant au sens de l’article L. 2193-2 ou un opérateur économique avec lequel le titulaire conclut en vue de la réalisation d’une partie de son marché un contrat dépourvu des caractéristiques du contrat d’entreprise. (…) ». Selon l’article L. 2193-2 de ce code : « Au sens du présent chapitre, la sous-traitance est l’opération par laquelle un opérateur économique confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l’exécution d’une partie des prestations du marché conclu avec l’acheteur. (…) ».
  1. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que la candidature de l’attributaire prévoit le concours d’un sous-contractant de droit suisse est sans incidence sur la régularité de la procédure de passation dès lors que la restriction prévue au point VI. 3) de l’avis d’appel public à la concurrence ne concerne que les opérateurs économiques candidats à la procédure de passation, non leurs éventuels sous-contractants. 

S’agissant de l’étendue des prestations confiées à la société Jet aviation AG :

  1. Aux termes de l’article L. 2393-6 du code de la commande publique : « L’acheteur peut demander au candidat, au soumissionnaire ou au titulaire du marché d’indiquer l’identité des sous-contractants qu’il entend solliciter ainsi que la nature et l’étendue des prestations qui leur seront confiées. (…) ». En vertu de l’article L. 2393-7 du même code, le pouvoir adjudicateur peut exiger que certaines tâches essentielles du marché soient effectuées directement par le titulaire, notamment pour des motifs liés à la sécurité des approvisionnements ou des informations.
  1. Il résulte des mentions de la déclaration de sous-traitance que les prestations concernées relèvent de la conduite du programme, du bureau d’études et de l’ingénierie, de la modification des aéronefs et de l’intégration des systèmes, ainsi que de la maintenance lourde en base. Or, dès lors que le pouvoir adjudicateur n’a pas fait usage de la faculté d’imposer au titulaire de réaliser directement certaines prestations, la société Jet aviation France était libre de déterminer la répartition des prestations entre son sous-contractant et elle-même. En outre, contrairement à ce que soutient la société Sabena Technics DNR, il ne résulte pas des pièces produites que l’ensemble des prestations aurait été confiées par la société Jet aviation France à son sous-contractant.

S’agissant de la détention des agréments M et 145 :

  1. En premier lieu, aux termes de l’article R. 2344-2 du code de la commande publique : « L’acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, y compris en ce qui concerne les opérateurs économiques sur les capacités desquels le candidat s’appuie, au plus tard avant l’attribution du marché. Cette vérification peut ne porter que sur la candidature du candidat auquel il est envisagé d’attribuer le marché ».
  1. Il résulte du point III.2.3 de l’avis d’appel public à la concurrence que le candidat doit apporter la preuve qu’il détient, d’une part, au moins un certificat en vigueur d’agrément d’organisme de gestion du maintien de navigabilité conforme au règlement CE 1321/2014 (partie M) ou à un règlement militaire français (FRA M, EMAR(FR) M ou EMAR/FR M) ou européen pour avion à réacteur, et, d’autre part, au moins un certificat en vigueur d’agrément d’organisme d’entretien conforme au règlement CE 1321/2014 (partie 145) ou à un règlement militaire français (FRA 145, EMAR(FR) 145 ou EMAR/FR 145) ou européen sur avion à réacteur. Il est précisé que si le candidat s’appuie sur d’autres opérateurs économiques (sous-contractants au sens de l’article L. 2393-1 du code de la commande publique), il doit justifier de la même manière des capacités de ces opérateurs et apporter la preuve qu’il en disposera pour l’exécution du marché. Toutefois, il résulte du point VI.3.b de l’avis d’appel public à la concurrence que si les candidats ne possèdent pas d’agrément 145, respectivement M, délivré par la DSAE sur les avions Falcon 50 et Falcon 200 Gardian de la marine nationale, le pouvoir adjudicateur exigera d’eux qu’ils s’engagent à obtenir les agréments EMAR/FR 145 (titulaire ou sous-traitant en charge des prestations de maintenance), respectivement EMAR/FR M (titulaire ou sous-traitant en charge des prestations de gestion du maintien de navigabilité) nécessaires à l’exécution des prestations du marché, dans un délai de douze mois suivant la notification du marché. 
  1. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que la société Jet aviation France ne disposait pas, lors du dépôt de sa candidature, de l’agrément 145 nécessaire à l’exécution du marché est sans incidence sur la régularité de la procédure de passation. Au surplus, d’une part, il résulte du point VI 3 b) de l’avis que l’agrément 145 pouvait être détenu par un sous-traitant, et il est constant que la société Jet aviation AG disposait de cet agrément. D’autre part, il est également attesté par la direction de la sécurité aéronautique d’Etat (DSAé) que cet agrément couvre les activités réalisées par les personnels des sociétés Jet aviation France et Jet aviation AG. 
  1. En second lieu, il ne résulte pas de l’instruction que lors du dépôt des candidatures, les candidats devaient disposer des agréments FRA/EMAR PART 21J et FRA/EMAR Part 147. Par suite, ce moyen est également sans incidence sur la régularité de la procédure de passation.

S’agissant des vérifications opérées par le pouvoir adjudicateur : 

  1. D’une part, aux termes de l’article R. 2343-3 du code de la commande publique : « Le candidat produit à l’appui de sa candidature : / 1° Une déclaration sur l’honneur pour justifier qu’il n’entre dans aucun des cas mentionnés par les dispositions législatives des sections 1 et 2 du chapitre Ier et notamment qu’il satisfait aux obligations concernant l’emploi des travailleurs handicapés définies aux articles L. 5212-1 à L. 5212-11 du code du travail ; (…) ». Il résulte du point III.2.1) de l’avis public d’appel à la concurrence que « le candidat doit (…) transmettre une déclaration sur l’honneur qu’il est en règle au regard des articles L. 5212-1 à L. 5212-11 du code du travail concernant l’emploi des travailleurs handicapés (…) ».
  1. Or il résulte de l’instruction que la société Jet aviation France a produit la déclaration sur l’honneur attestant qu’elle satisfaisait à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés. La production de cette déclaration au stade du dépôt des candidatures suffisait à rendre celle-ci recevable dans cette mesure, quand bien même le certificat AGEFIPH (association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) n’a été produit que le 9 avril 2021, soit postérieurement au 12 octobre 2020, date à laquelle les candidats retenus ont été invités à déposer une offre. 
  1. D’autre part, si la société Sabena Technics DNR soutient qu’il n’est pas établi que 

la société Jet aviation AG, sous-contractant, aurait produit les certificats fiscaux et sociaux requis et le certificat AGEFIPH, un tel manquement, à le supposer existant, n’est pas en rapport direct avec son éviction. Par suite, ce moyen ne peut qu’être écarté. 

En ce qui concerne la régularité de l’offre de la société attributaire :

  1. La société requérante, qui se prévaut d’irrégularités tenant à la candidature de l’attributaire, ne soulève pas de moyen spécifique se rapportant à la seule régularité de l’offre de ce dernier. Par suite, ces moyens ne peuvent qu’être écarté.
  1. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fins d’annulation ou de résiliation présentées par la société Sabena Technics DNR doivent être rejetées.
  1. « Nous avons opérationnalisé, nos décisions en matière de défense. La Commission européenne a sorti hier un Livre blanc qui me paraît tout à fait répondre aux objectifs du moment, avec des engagements forts, des instruments utiles, une préférence européenne assumée, ce qui est, là aussi, un changement de doctrine très profond, et nous nous sommes beaucoup battus pour. Et au fond, nous avons maintenant une stratégie pour réarmer pleinement l’Europe, c’est-à-dire nous rééquiper, retrouver pleinement notre indépendance dans les 5 ans qui viennent » (https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/03/20/conseil-europeen-des-20-et-21-mars-2025)
  2. Communiqué de presse sur le : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_25_793
  3. Communiqué de presse sur le ReamEurope : voir ci-dessus
  4. Affaire des bipeurs piégés du Hezbollah par le Mossad ou des lunettes piégées utilisées par les pilotes russes de drones
  5. Le terme de sous-contractant est plus large que celui de sous-traitant. Par facilité de lecture, le terme de sous-traitant sera utilisé dans le cadre du présent article.
  6. L’interdiction a également vocation à s’appliquer en cours d’exécution du marché.

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Article R2342-7 du code de la commande publique,
L2353-1 du code de la commande publique,
marchés publics de la défense,
n°2113501,
Préférence europeenne,
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