Tél : 01 42 22 09 18
Fax : 01 42 22 10 03
Publié le 16 Jan 2025

Marché public de travaux : une approche globale de la qualification est nécessaire

CJUE 17 octobre 2024, NFŠ a. s./République slovaque, n° C-28/23

Ce qu’il faut retenir :

La Cour de justice de l’Union européenne considère qu’un marché public de travaux peut être constitué par un ensemble contractuel comprenant un contrat de subvention et une promesse d’achat.

Enseignement n° 1 : La qualification de marché de travaux peut s’appliquer à un ensemble contractuel

L’article 2, paragraphe 1, point 6, sous c), de la directive 2014/24 reprend en substance l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18. Ces dispositions porteuses de la notion communautaire de « marché public de travaux » se sont vu conférer une portée autonome par la Cour de justice (CJCE, 18 janv. 2007, Auroux, n° C‑220/05). Ainsi, aux yeux du juge de l’Union, il faut et il suffit qu’un contrat soit conclu entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique, à titre onéreux, et ait pour objet la réalisation de travaux comportant un intérêt économique direct pour le premier (CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller, n°C‑451/08).

La particularité de l’affaire examinée par la Cour le 17 octobre 2024 résidait dans l’existence d’un montage contractuel à plusieurs composantes. En l’espèce, le ministère de l’Éducation slovaque avait conclu une série d’accords avec une société pour la construction du stade national de football slovaque. D’une part, un contrat de subvention prévoyait non seulement les conditions d’octroi d’une subvention de 27,2 millions d’euros mais aussi les conditions de cette construction. La société avait ainsi l’obligation de construire le stade national de football slovaque conformément aux conditions spécifiées par le ministère de l’Éducation et de permettre à la Fédération slovaque de football d’en utiliser une partie. D’autre part, un contrat de promesse d’achat prévoyait au bénéfice de la société une option unilatérale de vente correspondant à une obligation pour l’État slovaque d’acheter le bâtiment construit.

Dans ce contexte, la Cour de justice commence par souligner que le terme « contrats » figurant dans les dispositions de la directive « couvre également des accords de volontés résultant de plusieurs documents, sans que la circonstance que chacun de ces documents constitue un contrat selon le droit national y fasse obstacle ». Il y a ainsi lieu à s’interroger sur la qualification de marché public en présence d’un groupe de contrats interdépendants.

Enseignement n° 2 : La qualification de marché de travaux n’est pas exclue en l’absence d’obligation de vendre

La Cour poursuit en précisant que la qualification de marché public ne saurait être exclue d’office au motif que la promesse d’achat n’est pas un acte synallagmatique, engageant l’opérateur économique cocontractant à vendre le bien construit.

En effet la notion d’intérêt économique direct de l’acheteur n’implique pas qu’il devienne nécessairement et immédiatement propriétaire de l’ouvrage.

Un tel intérêt économique peut être constaté également lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité de ces ouvrages (CJUE, 22 avril 2021, Commission/Autriche, n° C‑537/19. Or, le contrat de subvention ici limitait le droit de propriété de la société en instituant un droit de préemption au profit de l’État, qui pour la Cour revête une valeur économique intrinsèque.

De plus, aux yeux de la Cour, la promesse d’achat doit s’analyser tout autant comme une garantie, au profit de la société, contre le risque commercial en cas d’échec économique de l’ouvrage. En d’autres termes, cette promesse d’achat fait assumer au pouvoir adjudicateur l’intégralité des risques, de sorte qu’il a un intérêt économique direct dans l’opération de travaux (Helmut Müller, précité).

Dans la mesure où cet ensemble contractuel est conclu entre un opérateur et un pouvoir adjudicateur, qu’il comporte des obligations réciproques entre les parties, et que le pouvoir adjudicateur exerce une influence déterminante sur la réalisation d’un ouvrage qui revêt pour lui un intérêt économique direct, la qualification de marché de travaux est acquise. Le fait que la Commission européenne ait considéré que la subvention en l’espèce constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur ne remet pas en cause cette conclusion.


CJUE 17 octobre 2024, NFŠ a. s./République slovaque, n° C-28/23

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

28 Par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 et l’article 2, paragraphe 1, point 6, sous c), de la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens que constitue un « marché public de travaux », au sens de ces dispositions, un ensemble contractuel liant un État membre à un opérateur économique et comprenant un contrat de subvention ainsi qu’une promesse d’achat, conclus en vue de la réalisation d’un stade de football, lequel ensemble contractuel crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées par ledit État ainsi qu’une option unilatérale au bénéfice dudit opérateur économique correspondant à une obligation pour le même État d’acheter ledit stade, et octroie au même opérateur économique une aide d’État reconnue par la Commission comme étant compatible avec le marché intérieur.

Sur la recevabilité

29 NFŠ conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, notamment au motif que la première question porterait sur des faits concrets qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. À cet égard, la formulation de cette première question contiendrait des constats factuels erronés et trompeurs. Par ailleurs, cette juridiction aurait reproduit sans examen critique le texte des questions proposées par une partie au principal, à savoir la République slovaque, et ignoré, en méconnaissance de la doctrine de l’acte éclairé, la jurisprudence de la Cour selon laquelle un contrat ne constitue pas un marché public en l’absence d’une obligation dont l’exécution peut être réclamée en justice.
30 À cet égard, il y a lieu de constater, d’une part, que, quand bien même la première question contiendrait des constats factuels que la juridiction de renvoi doit vérifier, cette question porte sur l’interprétation de dispositions du droit de l’Union.
31 Par ailleurs, conformément à une jurisprudence constante, la juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre cette dernière et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi [arrêt du 28 octobre 2021, X-Beteiligungsgesellschaft (TVA – Paiements successifs), C‑324/20, EU:C:2021:880, point 31 et jurisprudence citée].
32 D’autre part, s’agissant de la circonstance que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’imposerait, en l’occurrence, avec une telle évidence qu’elle ne laisserait place à aucun doute raisonnable, il suffit de rappeler que, si une telle circonstance, lorsqu’elle est avérée, peut amener la Cour à statuer par voie d’ordonnance au titre de l’article 99 de son règlement de procédure, cette même circonstance ne saurait pour autant empêcher la juridiction nationale de poser une question préjudicielle ni avoir pour effet de rendre irrecevable la question ainsi posée (arrêt du 7 septembre 2023, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România , C‑216/21, EU:C:2023:628, point 49 et jurisprudence citée).
33 Il s’ensuit que la première question est recevable.

Sur le fond

34 À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive applicable ratione temporis à la passation d’un marché public est, en principe, celle en vigueur au moment où le pouvoir adjudicateur choisit le type de procédure qu’il va suivre et tranche définitivement la question de savoir s’il y a ou non obligation de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication de ce marché public. Sont, en revanche, inapplicables les dispositions d’une directive dont le délai de transposition a expiré après cette date (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2021, RTS infra et Aannemingsbedrijf Norré-Behaegel, C‑387/19, EU:C:2021:13, point 23 ainsi que jurisprudence citée).
35 Dans la présente affaire, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la décision de ne pas procéder à une mise en concurrence pour la réalisation du stade national de football slovaque a été adoptée au moyen de la résolution no 400/2013 du gouvernement slovaque, du 10 juillet 2013, date à laquelle était applicable la directive 2004/18. Sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, il apparaît que cette résolution a tranché définitivement, pour le ministère de l’Éducation et pour la République slovaque, la question de savoir s’il y avait ou non obligation de procéder à une mise en concurrence.
36 En tout état de cause, quand bien même cette juridiction arriverait à la conclusion que la décision tranchant définitivement la question de savoir s’il y avait ou non obligation de procéder à une telle mise en concurrence est postérieure au 18 avril 2016, date à laquelle l’abrogation de la directive 2004/18 a pris effet et à laquelle a expiré le délai de transposition de la directive 2014/24, le contenu de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 correspond en substance, en ce qui concerne la réalisation d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur, au contenu de l’article 2, paragraphe 1, point 6, sous c), de la directive 2014/24.
37 Sous le bénéfice de ces précisions liminaires, il convient de déterminer si un ensemble contractuel présentant les caractéristiques de celui en cause au principal remplit les critères d’un « marché public de travaux », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, cette notion étant une notion autonome du droit de l’Union, pour laquelle la qualification juridique donnée à un contrat par le droit d’un État membre n’est pas pertinente (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2007, Auroux e.a., C‑220/05, EU:C:2007:31, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
38 À cet égard, il y a lieu de vérifier, conformément à la définition de la notion de « marché public » figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18, si un tel ensemble contractuel constitue un contrat à titre onéreux conclu par écrit entre des opérateurs économiques et un pouvoir adjudicateur et, dans l’affirmative, si ce contrat a pour objet la réalisation d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par ce pouvoir adjudicateur, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de cette directive.
39 En l’occurrence, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de se prononcer à ce sujet après avoir procédé aux appréciations requises à cette fin. Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article 267 TFUE, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci (arrêt du 7 septembre 2023, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România , C‑216/21, EU:C:2023:628, point 72 et jurisprudence citée).
40 En premier lieu, le terme « contrats » figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 couvre également des accords de volontés résultant de plusieurs documents, sans que la circonstance que chacun de ces documents constitue un contrat selon le droit national y fasse obstacle.
41 Dans la présente affaire, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le contrat de subvention et la promesse d’achat présentent un lien matériel, tant l’un que l’autre ayant été conclus dans le cadre du projet de construction du stade national de football slovaque, et un lien temporel. Ce dernier est confirmé par la décision SA.46530, qui indique que la construction de ce stade n’a commencé qu’à l’automne 2016, c’est-à-dire après la conclusion, le 10 mai 2016, de l’avenant no 1 au contrat de subvention ainsi que de la promesse d’achat.
42 En deuxième lieu, les contrats composant l’ensemble contractuel en cause au principal ont été conclus par écrit, d’une part, par Národný futbalový štadión, en ce qui concerne le contrat de subvention, et par NFŠ, en ce qui concerne la promesse d’achat, lesquels sont des opérateurs économiques, et, d’autre part, par l’État slovaque, qui est un pouvoir adjudicateur, au sens de l’article 1er, paragraphe 9, premier alinéa, de la directive 2004/18.
43 En troisième lieu, il convient de vérifier si un ensemble contractuel présentant les caractéristiques de celui en cause au principal est conclu à titre onéreux.
44 D’une part, selon la jurisprudence de la Cour, l’expression « à titre onéreux » désigne un contrat par lequel chacune des parties s’engage à réaliser une prestation en contrepartie d’une autre. Le caractère synallagmatique du contrat est ainsi une caractéristique essentielle d’un marché public, qui se traduit obligatoirement par la création d’obligations juridiquement contraignantes pour chacune des parties au contrat, dont l’exécution doit pouvoir être réclamée en justice (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2020, Tax-Fin-Lex, C‑367/19, EU:C:2020:685, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).
45 À cet égard, il convient de relever que, lorsqu’un contrat comporte une obligation d’achat par un pouvoir adjudicateur sans qu’une obligation de vente ne pèse sur son cocontractant, cette absence d’obligation de vente ne saurait nécessairement suffire pour exclure le caractère synallagmatique de ce contrat et, partant, l’existence d’un marché public, une telle conclusion ne pouvant être, le cas échéant, atteinte qu’à la suite de l’examen de l’ensemble des éléments pertinents.
46 Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi mentionne l’existence d’obligations réciproques entre le ministère de l’Éducation et NFŠ. En outre, cette juridiction indique notamment que le contrat de subvention comporte l’obligation pour l’État d’octroyer la subvention ainsi que les obligations, pour le prédécesseur en droit de NFŠ, de construire le stade national de football slovaque conformément aux conditions spécifiées par le ministère de l’Éducation, de financer au moins 60 % des coûts de la construction et, dans la version originelle de ce contrat, de permettre à la Fédération slovaque de football d’en utiliser gratuitement une partie. Si l’avenant no 1 au contrat de subvention a supprimé cette dernière obligation, cet avenant n’a pas fait disparaître les autres obligations, qui ont été transférées à NFŠ.
47 D’autre part, dans le cadre d’un marché public de travaux, le pouvoir adjudicateur reçoit une prestation consistant dans la réalisation des travaux qu’il vise à obtenir et qui comporte un intérêt économique direct pour lui. Un tel intérêt économique peut être constaté non seulement lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur deviendra propriétaire des travaux ou de l’ouvrage faisant l’objet du marché, mais également dans d’autres situations, notamment lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité de ces ouvrages, en vue de leur affectation publique [voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Commission/Autriche (Location d’un bâtiment non encore construit), C‑537/19, EU:C:2021:319, point 44et jurisprudence citée].
48 Il résulte du dossier dont dispose la Cour que, si le stade national de football slovaque appartient à NFŠ, le contrat de subvention limite le droit de transférer la propriété de ce stade à des tiers, notamment en exigeant pour ce faire un consentement écrit préalable de l’État slovaque. Partant, cet État dispose sur ce stade, en substance, d’un droit de préemption ayant une valeur économique intrinsèque.
49 L’intérêt économique peut encore résider dans les avantages économiques que le pouvoir adjudicateur pourra tirer de l’utilisation ou de la cession futures de l’ouvrage, dans le fait qu’il a participé financièrement à la réalisation de l’ouvrage ou dans les risques qu’il assume en cas d’échec économique de l’ouvrage (arrêt du 25 mars 2010, Helmut Müller, C‑451/08, EU:C:2010:168, point 52et jurisprudence citée).
50 En l’occurrence, comme l’a indiqué NFŠ dans ses observations écrites et lors de l’audience, l’option dont dispose cette partie en vertu de la promesse d’achat constitue une garantie contre le risque commercial pour le cas où le stade national de football slovaque s’avérerait pour elle commercialement non viable. Ainsi, en s’engageant à acheter ce stade à la demande de NFŠ, le pouvoir adjudicateur a assumé l’intégralité des risques en cas d’échec économique de l’ouvrage.
51 En quatrième lieu, il y a lieu de rappeler que, pour qu’un contrat constitue un « marché public de travaux » ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage, cet ouvrage doit être réalisé conformément aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur, les moyens utilisés en vue de cette réalisation étant indifférents (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑536/07, EU:C:2009:664, point 55).
52 À cet égard, une influence déterminante du pouvoir adjudicateur sur la conception d’un bâtiment envisagé peut être identifiée, en particulier, s’il peut être démontré que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs [voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Commission/Autriche (Location d’un bâtiment non encore construit), C‑537/19, EU:C:2021:319, point 53].
53 En l’occurrence, la juridiction de renvoi précise, dans la demande de décision préjudicielle, que le stade national de football slovaque devait être construit conformément aux conditions spécifiées par le ministère de l’Éducation. À cet égard, ce dernier s’est référé dans l’affaire au principal, à l’instar de NFŠ dans ses observations écrites devant la Cour, au respect des critères du règlement de l’UEFA sur l’infrastructure des stades en ce qui concerne les stades de catégorie 4.
54 Or, l’obligation de respecter ces critères, l’existence de cette obligation étant à vérifier par la juridiction de renvoi, pourrait permettre d’identifier une influence déterminante de l’État slovaque sur la structure architecturale, dans le cas où ce règlement comporterait des exigences relatives, par exemple, aux dimensions du terrain de jeu, à la capacité du stade en nombre de spectateurs ou au nombre de places de parking prévues, ce qu’il revient également à la juridiction de renvoi d’examiner.
55 Eu égard aux considérations qui précèdent, et sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, un ensemble contractuel présentant les caractéristiques de celui en cause au principal constitue un « marché public de travaux », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18.
56 Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que la Commission a considéré, dans la décision SA.46530, que la subvention en vue de la construction du stade national de football slovaque et la promesse d’achat de celui-ci constituent une aide d’État compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
57 Selon NFŠ, cette décision implique des constats empêchant de qualifier de marché public l’ensemble contractuel en cause au principal. Ainsi, il découlerait, notamment, de ladite décision que cette société n’avait pas l’obligation de réaliser le stade national de football slovaque. En outre, ladite société indique s’être conformée aux règles relatives à la passation des marchés publics dans le choix de ses fournisseurs, conformément à une obligation dont ferait état ladite décision.
58 Or, d’une part, si la décision SA.46530 indique que NFŠ restera le propriétaire du stade national de football slovaque après sa construction, sans qu’il existe une obligation de transférer la propriété de ce stade à l’État slovaque, cette décision ne mentionne pas l’absence d’obligation de construire ledit stade.
59 En tout état de cause, il y a lieu de relever que, certes, les juridictions nationales doivent s’abstenir de prendre des décisions allant contre une décision de la Commission portant sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, dont l’appréciation relève de la compétence exclusive de cette institution, agissant sous le contrôle du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Buonotourist/Commission, C‑586/18 P, EU:C:2020:152, points 90 et 91 ainsi que jurisprudence citée). Toutefois, des appréciations qui pourraient implicitement découler d’une décision de cette institution relative à une aide d’État ne sauraient, en principe, s’imposer aux juridictions nationales dans un litige, tel que celui au principal, qui est sans rapport avec la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur.
60 D’autre part, lorsqu’un pouvoir adjudicateur a l’obligation de respecter les règles du droit de l’Union relatives à la passation des marchés publics, ce pouvoir adjudicateur ne saurait se libérer de cette obligation, qui pèse spécifiquement sur lui, en imposant à l’opérateur économique avec lequel il conclut un tel marché de se conformer à ces règles lors de l’exécution du marché en question. Partant, en l’occurrence, l’existence d’un marché public liant NFŠ et l’État slovaque ne peut être remise en cause par le fait que la décision SA.46530 indique que les travaux de construction du stade national de football slovaque feront l’objet d’une procédure de mise en concurrence conforme aux règles applicables en matière de passation des marchés publics.
61 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que constitue un « marché public de travaux », au sens de cette disposition, un ensemble contractuel liant un État membre à un opérateur économique et comprenant un contrat de subvention ainsi qu’une promesse d’achat, conclus en vue de la réalisation d’un stade de football, dès lors que cet ensemble contractuel crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées par ledit État ainsi qu’une option unilatérale au bénéfice dudit opérateur économique correspondant à une obligation pour le même État d’acheter ledit stade, et octroie au même opérateur économique une aide d’État reconnue par la Commission comme étant compatible avec le marché intérieur.

Sur les deuxième à quatrième questions

62 Par ses deuxième à quatrième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 89/665 ou la directive 2014/24 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’application, au titre d’une exception de nullité soulevée par le pouvoir adjudicateur, d’une législation nationale prévoyant qu’un contrat conclu en violation de la réglementation en matière de passation des marchés publics est frappé de nullité absolue ex tunc.

Sur la recevabilité

63 NFŠ considère que ces questions sont hypothétiques. La Commission doute également de la recevabilité desdites questions, au motif que la juridiction de renvoi n’indiquerait pas clairement les raisons pour lesquelles elle a besoin d’une réponse.
64 Selon une jurisprudence constante, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 30 avril 2024, Procura della Repubblica presso il Tribunale di Bolzano, C‑178/22, EU:C:2024:371, point 27 et jurisprudence citée).
65 Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le ministère de l’Éducation a invoqué, par voie d’exception, la nullité de l’ensemble contractuel en cause au principal, que cet ensemble contractuel a été conclu sans mise en concurrence et que la législation nationale, telle qu’interprétée par une partie de la jurisprudence nationale, impose de constater la nullité absolue ex tunc d’un contrat conclu en violation de la réglementation en matière de passation des marchés publics.
66 Partant, les deuxième à quatrième questions ne présentent pas un caractère hypothétique et il n’apparaît pas manifeste qu’une réponse à ces questions ne serait pas utile à la juridiction de renvoi pour statuer sur le litige dont elle est saisie. Il en résulte que ces questions sont recevables.

Sur le fond

67 En premier lieu, la directive 89/665 ne saurait être considérée comme procédant à une harmonisation complète et, partant, comme envisageant l’ensemble des voies de recours possibles en matière de marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 53).
68 Sous le bénéfice de cette précision, il convient de vérifier si une exception de nullité soulevée par un pouvoir adjudicateur relève du champ d’application de cette directive.
69 À cet égard, l’article 1er de la directive 89/665, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », mentionne, à son paragraphe 3, les personnes qui doivent pouvoir introduire des recours en vertu de cette directive. Cette disposition exige que les procédures de recours soient accessibles au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.
70 Par ailleurs, l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, de ladite directive mentionne les décisions qui doivent pouvoir faire l’objet de recours en vertu de la même directive. Cette disposition se limite à exiger que puissent faire l’objet de tels recours les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs.
71 Il découle d’une lecture conjointe de ces dispositions que la directive 89/665 ne vise pas à établir des procédures ou des voies de recours au profit des pouvoirs adjudicateurs.
72 Cette interprétation est corroborée par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les dispositions de cette directive tendent à protéger les opérateurs économiques contre l’arbitraire du pouvoir adjudicateur (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 51 et jurisprudence citée).
73 En particulier, il y a lieu d’observer que l’article 2 quinquies de la directive 89/665, visé par la troisième question préjudicielle, porte sur les conséquences de la violation de règles du droit de l’Union relatives aux marchés publics, à l’instar de l’article 2 sexies de cette directive. Or, la Cour a jugé que l’article 2 sexies de ladite directive ne se rapporte qu’aux recours engagés par des entreprises ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésées par une violation alléguée (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 54).
74 Il s’ensuit qu’une exception de nullité soulevée par un pouvoir adjudicateur ne relève pas du champ d’application de la directive 89/665.
75 En second lieu, la directive 2014/24 n’établit, comme il ressort de son article 1er, paragraphe 1, que des règles applicables aux procédures de passation des marchés publics, sans régir les conséquences de la violation de ces règles.
76 Cela étant, l’article 83 de la directive 2014/24 prévoit des règles relatives au suivi de l’application de cette directive. Ces règles ayant un caractère procédural, elles sont applicables, à compter du 18 avril 2016, date de l’expiration du délai de transposition de ladite directive, à toutes les procédures de passation de marchés publics nouvelles ou en cours, qui relèvent du champ d’application matériel de cette même directive.
77 À cet égard, la Cour a jugé que l’article 83, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose ni n’interdit aux États membres d’adopter une réglementation en vertu de laquelle une autorité de contrôle peut enclencher, pour des motifs de protection des intérêts financiers de l’Union, une procédure de recours d’office afin de contrôler les infractions à la réglementation en matière de marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, point 84).
78 Toutefois, la Cour a également jugé que, lorsqu’une telle procédure est prévue, elle relève du champ d’application du droit de l’Union dans la mesure où les marchés publics faisant l’objet d’un tel recours relèvent du champ d’application matériel des directives sur les marchés publics. Dès lors, une telle procédure doit respecter le droit de l’Union, y compris les principes généraux de ce droit (arrêt du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, points 85 et 86).
79 De la même manière, l’article 83, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose ni n’interdit aux États membres d’adopter une législation nationale prévoyant la possibilité, pour un pouvoir adjudicateur, de soulever, à l’occasion d’un litige portant sur un contrat, une exception de nullité absolue ex tunc tirée d’une infraction à la réglementation en matière de marchés publics.
80 Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que le recours qui est à l’origine du litige au principal violerait le droit de l’Union, y compris les principes généraux de ce droit.
81 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième à quatrième questions que la directive 89/665 et la directive 2014/24 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à l’application, au titre d’une exception de nullité soulevée par le pouvoir adjudicateur, d’une législation nationale prévoyant qu’un contrat conclu en violation de la réglementation en matière de passation des marchés publics est frappé de nullité absolue ex tunc, à condition que, s’agissant d’un marché public relevant du champ d’application matériel de la directive 2014/24, la législation prévoyant une telle nullité respecte le droit de l’Union, y compris les principes généraux de ce droit.

 

 


© 2022 Cabinet Palmier - Tous droits réservés - Reproduction interdite sans autorisation.
Les informations juridiques, modèles de documents juridiques et mentions légales ne constituent pas des conseils juridiques
Table des matières
CJUE 17 octobre 2024,
Directive 2014/24 article 2,
Ensemble contractuel marché public,
Influence pouvoir adjudicateur travaux,
Intérêt économique direct,
Intérêt économique direct pouvoir adjudicateur,
Qualification marché public de travaux,
Réalisation d’un ouvrage public,
Subvention et promesse d’achat,
Tous droits réservés © Cabinet Palmier - Brault - Associés
Un site réalisé par Webocube